Cela se passe à Lyon en ce début de 2019. Le cardinal Barbarin et cinq de ses collaborateurs font face à la justice française. On leur reproche d’avoir manqué à leur devoir de dénoncer et de suspendre le père Preynat de toute fonction sacerdotale après avoir connu les faits allégués contre lui dès 2006.
Le prêtre est accusé d’avoir agressé sexuellement plusieurs dizaines d’enfants entre les années 1970 et 1990. Aucune victime n’avait porté plainte, celles-ci affirmant en avoir été empêchées par le clergé et par leurs parents atterrés alors que les délais de prescription le permettaient encore.
Le procès Barbarin survient à une période de l’histoire où les mouvements de dénonciation ont fait de grandes vagues dans les médias, toutes catégories confondues. Il nous apparaît tout-à-fait normal, aujourd’hui, d’encourager quiconque aurait subi une forme d’abus à porter plainte afin que l’agresseur soit confronté à la justice.
Il devance aussi d’à peine quelques semaines une importante rencontre des présidents de conférences épiscopales du monde entier, convoqués au Vatican par le pape en février pour se pencher sur le sempiternel problème des abus sexuels au sein de l’Église. Après les tristement spectaculaires cas de cachotteries ecclésiales au Chili et en Pennsylvanie en 2018, et après des années de révélations aux quatre coins du monde, la hiérarchie catholique parviendra-t-elle à faire de 2019 autre chose qu’un mauvais pastiche du Jour de la marmotte?
Les religions et l’État
Dans ce cas-ci, ce qui est reproché au primat des Gaules et à ses collaborateurs, c’est de n’avoir rien fait. C’est là-dessus que la justice devra statuer.
Mais qu’entend-on au juste par «rien»?
L’archevêque de Lyon soutient avoir soumis le cas au Vatican en 2014 et s’en être tenu aux consignes reçues. Pour se justifier de ne pas avoir renvoyé le cas aux autorités civiles, il a déclaré: «mon autorité à moi, c’est Rome.»
Une telle déclaration peut donner l’impression que l’Église, par le positionnement d’un haut représentant, pourrait – ou devrait – ne pas avoir à se soumettre à la justice d’un État de droit.
À une époque où l’on voit de plus en plus de groupes religieux s’élever contre les lois civiles, surtout en matière de droit de la famille et de la vie, il n’est peut-être pas si étonnant qu’un évêque tente de se déresponsabiliser devant un tribunal en affirmant sincèrement que le respect des règles de son Église aurait dû suffire à le disculper de toute responsabilité civile!
On en revient au fameux dilemme du positionnement des religions face à l’État. L’histoire est remplie d’exemples où la religion a voulu maintenir une emprise sur l’État tout comme l’inverse est vrai! C’est au moins le cas pour le christianisme, dans son ensemble, et pour l’islam.
Devant des lois qu’elle juge immorale – et elles sont nombreuses en ces temps de libertés individuelles – l’Église catholique n’hésite plus, particulièrement en France, à soutenir des initiatives populaires, des manifestations de masse et même à ne pas se distancier clairement des groupuscules qui revendiquent que la «loi divine» ait préséance sur celle de l’État.
Et la liberté de conscience?
D’aucuns pourraient défendre le cardinal Barbarin, qui semble indirectement faire appel au droit à la «liberté de conscience et de religion» afin de s’extraire d’une responsabilité juridique. Ce droit est reconnu aux individus quand ils demandent à l’État de protéger ce qu’ils considèrent comme étant leur devoir religieux. Pas besoin ici d’énoncer toutes les situations qui peuvent s’appliquer. Pensons uniquement à cette femme qui a renoncé à une transfusion sanguine par respect pour sa religion, allant jusqu’à en mourir, l’État ne se voyant pas autorisé à intervenir du fait du droit invoqué.
Le cardinal Barbarin n’est pas qu’un simple individu dans le cas qui nous préoccupe. Il est l’un des responsables de l’Église et c’est par rapport à l’exercice de sa fonction qu’il est au banc des accusés. À travers lui, c’est aussi l’Église qui est accusée de n’avoir pas su agir moralement en écartant le prêtre abuseur de toute fonction au nom de ce qu’il représente. C’est bien ce qui choque ici. Il s’agit de la non-reconnaissance de la gravité des gestes du religieux en autorité sur au moins 67 jeunes dont il a brisé les vies. En renvoyant à la justice civile son incapacité de juger des faits à l’intérieur des délais prescrits, l’archevêque utilise son positionnement religieux pour s’auto-innocenter et permettre l’impunité en faveur de l’un de ses collaborateurs.
C’est ce qui fait dire à la rédactrice en chef de Témoignage chrétien, Christine Pedotti, et auteure du livre Qu’avez-vous fait de Jésus?: « Ces hommes, qui devraient être plein d’humanité, sont incapables de comprendre de quoi il s’agit. Ils disent, « on ne savait pas, on ne comprend pas »». Et Isabelle de Gaulmyn, journaliste du fait religieux en rajoute: «Ce qui me scandalise, c’est que l’Église ne s’est jamais indignée.»
Cela donne raison à ceux et celles qui voient dans ce cas un autre épisode du procès de l’Église en Occident, incessamment confrontée à tous ses manquements à protéger les plus vulnérables de ses membres.
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