Grâce au Conseil de sécurité et aux appels de leurs alliés respectifs, les États-Unis et l’Iran ont suspendu l’escalade qui risquait d’embraser le Moyen-Orient et de causer une crise mondiale. Les attaques de pétroliers ne justifiaient pas, selon des experts, d’en faire un «casus belli». Néanmoins, Washington et Téhéran, tout en affirmant vouloir «éviter la guerre», risquaient d’y être entraînés. En réalité, faute de solution politique, les impasses actuelles peuvent mener tôt ou tard à une conflagration générale.
Il ne s’agit pas seulement du pétrole, dont vivent depuis longtemps l’Arabie saoudite et l’Iran, et qu’achètent des pays industriels d’Europe et d’Asie. Il s’agit aussi de l’interminable conflit israélo-palestinien. Et aussi de l’antagonisme historique entre chiites et sunnites, déjà sanglant en d’autres terres musulmanes. À quoi s’ajoute maintenant la crainte d’attaques balistiques, sinon encore atomiques.
Des pays tels l’Iran, l’Arabie saoudite et surtout Israël sont bien armés, mais aucun d’entre eux n’est capable d’imposer, de gré ou de force, un règlement qui serait avantageux pour tous. Depuis toujours, des puissances étrangères y ont dicté leurs volontés souvent contradictoires. Ainsi l’Irak n’est pas remis de la guerre américano-britannique contre Saddam Hussein. Récemment, la Syrie doit sa survie à l’intervention militaire de Moscou. Et menacé par le président Trump, l’Iran aura aussi eu l’appui du président russe Vladimir Poutine.
D’abord Donald Trump «n’écartait rien», avant de confirmer que les États-Unis ne dépendent plus, comme autrefois, du pétrole de la région. Puis, après la destruction d’un drone américain par l’Iran, il disait avoir stoppé une frappe risquant de faire 150 victimes. Simples tactiques de négociation? «Jamais sous la menace», a répondu Téhéran aux offres de discussion. Pour entendre Trump dire, peu après, qu’aucun soldat américain n’irait en sol iranien. Car la guerre «n’y durerait pas longtemps».
Entre-temps son Secrétaire d’État, Mike Pompeo, avait déclaré que les États-Unis garantiraient la navigation par le détroit d’Ormuz. Plus du tiers du pétrole mondial transporté par mer passe par cette voie et plusieurs pays en dépendent. Mais comment garder ouvert ce passage, contre la volonté iranienne, sans y engager des forces militaires? Et comment protéger l’armada qui veillerait sur la navigation, les pétroliers et les bases américaines sises dans les pays voisins?
Les États-Unis ne cachent pas leur présence dans la région: porte-avions tel l’Abraham Lincoln, flotte de bombardiers et plusieurs milliers de soldats. Ils auraient peine toutefois à trouver d’autres alliés (sauf Israël et l’Arabie saoudite déjà acquis), prêts à les suivre contre l’Iran. Quels gouvernements, en Europe ou ailleurs, voudraient s’associer à une telle intervention, sachant qu’il en résulterait un chaos dans la région et, probablement ailleurs, une autre vague d’attentats-représailles?
La Maison Blanche ne manque pas de scénarios téméraires. En interdisant à d’autres pays comme le Japon de s’approvisionner en Iran, Washington compte encore isoler Téhéran et priver le régime d’appuis populaires. Il y a deux ans, misant sur une révolte, John Bolton, le conseiller à la sécurité, assurait des dissidents iraniens réunis à Paris que la seule solution était de «changer le régime». Il leur prédisait qu’avant 2019 «c’est à Téhéran que nous célébrerons!» La fête n’y est pas, mais le pays souffre d’un blocus économique et financier.
D’autres sanctions imposées cette fois aux dirigeants politiques et militaires de l’Iran n’auront guère plus de succès. Les faucons du président se rabattent sur une éventuelle «erreur» de Téhéran qui justifierait une intervention armée. Les attaques de pétroliers, quels qu’en soit les auteurs, n’auront guère ému, semble-t-il, les citoyens américains, ni même l’attaque d’un drone espion ouvertement reconnue par les forces iraniennes. Mais d’autres «incidents» pourraient rallumer la mèche.
Voyant le danger, plusieurs capitales dont Moscou, Pékin et Paris avaient incité l’Iran à la plus grande prudence. Aucun continent, à vrai dire, ne serait guère épargné en cas de crise dans cette région stratégique. Téhéran trouvait «suspects» les derniers incidents du Golfe. L’histoire ne manque hélas pas de conflits dévastateurs déclenchés après une agression fabriquée de toutes pièces en vue de justifier, «preuves à l’appui», une invasion véritable.
Des faucons misaient sur les sanctions économiques et financières, pression propre à susciter des réactions «agressives» qui «justifieraient», à défaut d’une implosion du régime, le bombardement de ses installations militaires et «nucléaires». Voilà que le président Trump réservait au public, avant d’entrer en campagne électorale, toute une surprise. Une guerre en Iran, dit-il à la chaîne Fox, ne durerait «pas très longtemps».
Déclenchée sans autorisation des Nations unies, cette blitzkrieg, faut-il comprendre, frapperait sans faire de victimes américaines tout en permettant d’éliminer tant les maux du Moyen-Orient que l’insécurité internationale qui en découle et le «terrorisme» attribué au régime de Téhéran. Des interventions ponctuelles (par Israël) ou générales (par les États-Unis) ont déjà été expérimentées sur des régimes dotés, disait-on, d’une installation nucléaire ou autre «arme de destruction massive».
Une guerre qui soit à la fois courte et frappant un régime et ses moyens de défense et d’attaque ne manque sans doute pas de partisans aux États-Unis et au Moyen-Orient. Le président Trump s’oppose en principe à l’envoi de troupes américaines en sol étranger. Il aurait apparemment contremandé une frappe aéronavale qui aurait pu fait un nombre «disproportionné» de victimes collatérales en Iran. Toutefois plus d’un militaire s’inquiète au Pentagone des aventuriers qui règnent à la Maison-Blanche.
Bref, renversement du régime lors d’un soulèvement populaire ou destruction de tous les moyens de défense et d’attaque de l’Iran, ce pays de 83 millions d’habitants plongerait dans le chaos, la guerre civile et la misère. Qui voudrait alors y apporter secours et reconstruction? Et surtout quels pays en accueilleraient par dizaines de millions des réfugiés provenant de cette nation of terror, pour reprendre l’expression du chef de l’armée et président des États-Unis…
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