Que célébrez-vous à Pâques? Fête du printemps? Chasse aux cocos de chocolat? Derrière la marchandisation il y a pourtant l’ombre de la croix, sur laquelle un innocent est crucifié. Les lapins ont déguerpi. Les chrétiens se souviennent, chaque année depuis deux millénaires.
Mémorial de quoi? C’est plus complexe que de fêter Noël – et c’est aussi plus important, car c’est le cœur de la foi chrétienne. Du Jeudi saint à Pâques, les derniers jours de Jésus condensent le sens de la vie, de l’engagement, de la mort et de l’espérance qui continuent de se répercuter dans notre culture.
À l’heure de la lutte à la radicalisation, la fête de Pâques fait figure de contre-sens, en offrant l’histoire et la mémoire d’une vie radicalisée d’amour.
Qui n’a pas refait le monde autour d’un repas entre amis? Le dernier repas de Jésus, c’est cela: refaire le monde en lui donnant une signification nouvelle par le don de sa vie et la demande d’en faire mémoire. De quoi faisons-nous mémoire au juste? La fraction du pain, l’action de grâce devenue la messe? Le lavement des pieds? Oui, et bien plus. Encore aujourd’hui, il s’agit de faire mémoire de l’attitude de service et d’humilité envers tous ceux qui croisent notre chemin. Reconnaître un ami dans l’étranger. Plus facile à dire qu’à faire…
Le repas fait ensuite place aux heures d’angoisse, d’humiliation et de torture. Une croix qui est, en d’autres temps, une guillotine, un échafaud, une chaise électrique, un cocktail empoisonné, une bombe chimique… Rien à célébrer, tout à méditer: le mystère de la mort, le non-sens de la vie humaine mise à mal par les luttes de pouvoir traduites en guerre et en famine, la fin de vie qui vient trop vite pour des enfants, la fin de vie qu’on veut soulager ou accompagner.
L’actualité de notre époque est un long Vendredi saint où les véritables martyrs ne sont pas les kamikazes, mais les témoins (c’est le sens de martyr en grec) qui meurent en proclamant leur foi, leurs idéaux…
Les événements récents me conduisent à penser à ma propre foi. Si on entrait dans mon église un dimanche, pour nous faire sauter, pour m’égorger, en m’obligeant à professer une foi (une perverse compréhension de la foi, plutôt) qui n’est pas mienne, aurais-je le courage de croire en regardant la mort en face? Par peur, parfois je pense que je mentirais. Que serait un mensonge en échange d’une vie entière pour faire une différence dans mon petit monde? Je me trouve bien lâche en contemplant un crucifié qui a encore la force de pardonner à ses bourreaux.
Quel est le sens de ce juif couronné d’épines, proclamé Messie par la foule un jour et mis à mort pour la même raison quelques jours après? Pourquoi devait-il mourir? L’interprétation spirituelle croise les motifs historiques. C’est un radical, ce Jésus. Radical dans sa volonté de faire le bien, quitte à transgresser des lois humaines et religieuses, il révèle un Dieu radicalisé par le don de soi pour les autres.
Cet homme radical devient le prototype du salut. Se tenir debout, transformé, vivant, n’est-ce pas le souhait de l’humanité?
Être radical signifie alors détruire le mal dans sa racine et faire germer un monde nouveau, meilleur. Ce n’est pas un cliché. C’est notre appel à tous, une véritable mission humanitaire qui dépasse nos appartenances culturelles et religieuses. Soyons radicaux, allons jusqu’au bout de nos élans d’engagement, même si c’est crucifiant. La résurrection est de l’autre côté du passage.