Ce qui intéresse dans la visite du pape François, c’est qu’il désigne son voyage comme un pèlerinage pénitentiel. Or, s’il emploie le mot pèlerinage, ce n’est pas anodin. C’est qu’il y a quelque chose à entendre derrière tout cela! Mais qu’est-ce qu’un pèlerinage? Pénitentiel de surcroit!
La compréhension du concept de pèlerinage a beaucoup évolué au cours des dernières décennies. Affranchi d’un cadre exclusivement religieux, il est aujourd’hui question de pèlerinage dans des contextes inusités. Si on va en pèlerinage à Lourdes ou à Fatima, on va aussi en pèlerinage pour voir la tombe d’Elvis, visiter Auschwitz ou s’aventurer sur le Machu Picchu. L’engouement pour Compostelle a aussi largement contribué à faire évoluer le concept de pèlerinage.
Sous un premier regard, la forme du pèlerinage donne souvent l’impression d’accorder de l’importance uniquement au lieu. Le développement récent des études pèlerines permet cependant de définir le pèlerinage davantage sur la base du mouvement qu’il appelle, un mouvement transversal et convergent, c’est-à-dire qui traverse et qui pointe dans une direction. Ce n’est donc pas tellement le lieu qui fait le pèlerinage, mais le mouvement et l’orientation qu’implique ce voyage. Dans quel esprit ou dans quelle spiritualité est-il effectué? D’ailleurs, si le pape qualifie son voyage comme un pèlerinage pénitentiel, c’est dire qu’il ne relève pas du lieu, ni de la destination, mais qu’il est de l’ordre de l’intention, et qu’il relève d’une certaine spiritualité. Il annonce ainsi un à-venir qui cherche à rétablir des enjeux relationnels en reconnaissant ses erreurs passées. Tout le mouvement est dans cet élan.
Comme mouvements transversaux et convergents, les pèlerinages sont des mouvements qui engendrent du mouvement (Peace Journeys, McIntosh et al., 2020). Par conséquent, les mouvements qui s’y croisent sont multiples et à plusieurs niveaux : l’expérience traverse non seulement les pèlerins qui l’effectuent, mais tout le corps social dans lequel évolue le pèlerinage. Le modèle Compostelle en est un bel exemple! Les villages qui jalonnent ses chemins ont subi de nombreux changements par le passage des pèlerins. Par conséquent, les mouvements pèlerins construisent du sens sur le mouvement qui résulte de leur croisement : vers quoi cela conduit-il ? Observons la situation présente :
- Les Premières Nations, Inuits et Métis ont initié un mouvement en allant rencontrer le pape à Rome.
- Le pape s’est mis en mouvement à son tour en acceptant de demander pardon. Pas seulement en son nom, mais au nom de toute l’Église. Si le geste annonce un déplacement sur le plan spirituel, soit de reconnaitre les torts de l’Église catholique et demander pardon, il est aussi éminemment politique.
- Comme société témoin de ce mouvement et remuée dans son sillage, nous sommes également appelés au mouvement en reconnaissant qu’en tant que Blancs nord-américains du 21e siècle, nous avons été privilégiés à l’issue d’une histoire qui s’est construite au détriment des peuples autochtones.
Tous ces mouvements se superposent. À ceux-ci s’ajoutent une multitude d’autres mouvements selon les effets engendrés par ce déplacement. Nous sommes tous affectés, ne serait-ce que parce que certaines rues seront barrées au cours des prochains jours. Cela suscitera de nombreuses réactions et des discussions enflammées qui ne laisseront pas indifférent. Le chemin pèlerin est fait d’humeurs variées et est modulé par tout ce qu’il croise.
Enfin, ces pèlerinages, celui initié par les Autochtones et l’autre inauguré par la réponse du pape au nom de toute l’Église, ne sont pas une finalité. Ils s’inscrivent dans un mouvement plus grand que le pape reformule en ces mots. Il s’agit de : « contribuer au voyage de guérison et de réconciliation déjà entrepris » et qui est influencé par tout ce qu’il croise. Le pèlerinage, comme mouvement, s’opère dans cet amalgame. C’est cela qui transforme, et non ce que le pèlerin avait prévu. Ce voyage pèlerin n’est donc qu’une étape sur un chemin où il reste encore beaucoup à faire. Le pardon est un long processus relationnel; un chemin qui soulève de nombreuses questions à l’égard de l’Église. Car, si celle-ci reconnait avoir fait fausse route dans ses relations avec les peuples autochtones, c’est qu’elle reconnait sa faillibilité. Par conséquent, ce pèlerinage crée un précédent qui l’invite à poursuivre son cheminement en se laissant davantage toucher par la diversité des réalités et des appels entendus au cœur du monde.
Éric Laliberté est chargé de cours à la Faculté de théologie et de sciences religieuses de l’Université Laval. Il est aussi doctorant en théologie, spécialisé en études pèlerines et responsable de la formation spécialisée en accompagnement spirituel au Centre de spiritualité Manrèse.