En octobre 2012, trois prêtres étaient enlevés au Nord-Kivu, en République démocratique du Congo (RDC). Dix ans plus tard, ces religieux assomptionnistes sont toujours introuvables. Gaston Ndaleghana Mumbere, intervenant en soins spirituels au CHU de Québec et doctorant en théologie à l’Université Laval, rappelle cet événement que les médias internationaux semblent avoir oublié.
Devrions-nous nous résigner face aux affres de la guerre que nous subissons matin, midi et nuit ? Telle est la question qu’un ami m’adresse et qui me bouleverse constamment.
J’y réfléchis, et le silence m’étouffe, me pèse et me dérobe mes larmes, incapable de pleurer les prêtres Anselme Wasukundi, Jean-Pierre Ndulani et Edmond Kisughu, enlevés dans la nuit du 19 octobre 2012 à la paroisse Notre-Dame des pauvres de Mbau.
En ce 10e anniversaire de ce triste événement, c’est toujours le silence qui s’impose. On n’en parle presque plus comme c’est aussi le cas des milliers d’hommes et de femmes qui subissent le même sort. Le scénario demeure le même : les assaillants qu’on n’a jamais réussi à identifier entrent dans les villages, assassinent les villageois, enlèvent les plus vaillants à qui ils confient le transport des objets pillés, puis, c’est le silence qui s’observe. Le gouvernement de Kinshasa s’en préoccupe à peine. C’est aussi le cas des médias nationaux ou internationaux qui en parlent avec réserve.
Est-ce qu’une guerre existe si elle n’est pas montrée à la télévision ? Opter de taire la guerre à l’Est de la RDC, est-ce un choix délibéré ou un manque d’information par rapport à ce qui s’y passe ?
Si nous rappelons ici la mémoire des pères Anselme, Jean-Pierre et Edmond, c’est aussi un cri d’alarme qui retentit au-delà d’une victimisation souvent adressée aux habitants de cette région. Le peuple de cette partie du pays ne sait plus comment vivre décemment, car souvent tout bascule en un instant. Il est seulement préoccupé par le quotidien : s’habituer à la vie comme à la mort, s’habituer à fuir sa maison ou à y rester pour mourir.
Par ailleurs, si le peuple est en mesure d’apprivoiser la fuite ou la mort, il semble qu’il accepte douloureusement le flou au sujet des disparus, ce qui ne facilite pas le deuil. Sont-ils toujours en vie ? Ont-ils déjà été assassinés ? Ces questions qui nous habitent font partie du quotidien des familles qui sont toujours en attente des nouvelles des disparus. Du point de vue culturel, le peuple de cette partie du pays envisage difficilement la possibilité de faire un deuil authentique tant qu’il n’y a pas de cérémonie et d’espace symboliques qui s’y rapportent. L’incertitude et la souffrance de nombreuses familles sont ainsi accentuées par l’absence de l’office funèbre et par le manque des tombes pour le recueillement. Même dix ans plus tard, elles n’arrivent pas à pleurer les leurs.
Chers pères Anselme, Jean-Pierre et Edmond, parfois nous vous oublions, parce que nous sommes accaparés par la fuite ou la mort. Mais, très récemment il y a eu du nouveau à la paroisse Notre-Dame des pauvres. Après votre enlèvement, les cloches de l’église avaient cessé de sonner. C’était notre manière de manifester notre indignation. Depuis, le besoin de prier ensemble se faisait de plus en plus ressentir. Cela a entraîné la réouverture de la paroisse qui fonctionne aujourd’hui malgré la terreur et le sang.
Vivants ou morts, espérons que les sons des cloches retentiront jusqu’à vous, signe de notre communion.
Gaston Ndaleghana Mumbere est l’auteur de La cloche ne sonnera plus (Éditions Saint Joseph) et de Le déchirement. L’office funèbre n’aura pas lieu (Éditions Terre d’Accueil).