En cette année 2019, nous voyons se succéder plusieurs anniversaires apparemment sans liens entre eux, qui ont pourtant d’étonnantes similitudes.
Le 6 juin 1944, il y a 75 ans, les Alliés débarquaient en Normandie. La fin de la Deuxième Guerre mondiale, moins d’un an plus tard, ouvrait l’ère du «baby-boom», de l’industrialisation sur les promesses d’une économie boostée à l’optimisme et l’avènement des combats féministes et civiques à grande échelle.
Alors que les années 60 annonçaient le meilleur, la guerre du Vietnam allait susciter le plus grand retournement contre l’esprit militariste du XXe siècle. Le 26 mai 1969, Yoko Ono et John Lennon entreprenaient leur bed-in à Montréal, dans le but de promouvoir la paix. Le succès médiatique de leur manifestation est tel qu’elle inspirera des générations de pacifistes. La chanson Give Peace A Chance, composée lors de l’événement, a pris un caractère mythique.
Toujours en 1969, le 20 juillet, Neil Armstrong devenait le premier homme à poser le pied sur la Lune, y allant de sa fameuse déclaration: «C’est un petit pas pour l’homme, mais un bond de géant pour l’humanité.» Pour rappel, huit mois plus tôt, William Anders, à bord d’Apollo 8, prenait le premier cliché de l’histoire d’un lever de Terre à partir de la Lune. L’humanité découvrait pour la première fois une image complète de la sphère terrestre. Cette vision inspira un tel émerveillement que l’astronaute ne put s’empêcher de faire la lecture du récit biblique de la création en direct!
En août 1969, un demi-million d’amateurs de musique rock étaient réunis à Woodstock. Les artistes prenaient la parole pour promouvoir la contre-culture et l’anticapitalisme pacifiste. Ces trois jours furent déterminants pour stimuler la carrière de nombreuses légendes de la musique et nous procurer certaines des chansons qui nous bercent encore d’espoir, d’amour et de paix.
Un renouveau finalement éphémère
En filigrane de ces événements, cette même impression que le monde occidental était traversé par l’espoir. On découvrait la force des mouvements collectifs et à quel point la maîtrise des médias allait changer la donne dans la quête d’influence de l’opinion publique.
Mais le vent de renouveau s’épuisa dans les années qui ont vu la nouveauté du terrorisme-spectacle s’inscrire dans l’agenda médiatique. Malgré la chute du communisme, un vent de conservatisme et d’austérité s’est peu à peu instillé dans les politiques des grandes démocraties. Il suffit de nommer les Thatcher et Reagan pour s’en convaincre. Les États se mettent d’ailleurs de plus en plus à utiliser la répression contre leur propre population. Les centaines d’étudiants morts à Tian’anmen, il y a 30 ans cette semaine, comptent parmi ces victimes des régimes qui semblent inverser leur compréhension du devoir de protection.
Dans les années récentes, les médias sociaux sont devenus la véritable agora où toutes les idéologies s’affrontent. Si ce pouvoir des citoyens rendu possible par la technologie a permis de mettre au jour certains des grands mensonges des États, notamment avec Wikileaks, les gardiens de l’establishment ont compris que les fake news pouvaient aisément polluer cet espace public, à tel point qu’il est devenu difficile aux populations de séparer le vrai du faux. Dans un tel chaos, c’est de nouveau vers le connu que se replient les nations dont les frontières, qui s’étaient ouvertes aux cultures et à la diversité, deviennent peu à peu des murs infranchissables.
Et les religions ne sont pas exemptes de péchés dans ce gâchis mondial. Des vagues significatives de fidèles de toutes allégeances s’engagent dans le fondamentalisme et l’exclusivisme. La tentation de la violence devient le moyen privilégié pour certains êtres malveillants qui voient son potentiel d’instrumentalisation des foules. Églises, temples, synagogues, mosquées et autres sanctuaires de toutes les affiliations deviennent des lieux à risque. La méfiance grandit au même rythme que la peur de l’autre.
Quel avenir?
Aux astronautes et aux scientifiques de ce monde qui nous alertent sur l’état de la planète bleue, aux artistes qui se mobilisent autour de pactes visant la conversion des fans, aux rares politiciens qui comprennent que les enjeux planétaires sont bien plus graves que tout ce que l’humanité a traversé jusqu’à présent, les masses répondent par le statu quo, par le déni, le repli et même la violence.
Notre monde est en déficit d’espérance. La foi en un monde meilleur ne semble plus mobiliser les foules. Mais il y a des irréductibles. Comme à toutes les époques, des êtres trouvent en eux et avec d’autres des ressources intérieures telles que celles qui se mettent en branle en situations de survie ou d’autodéfense, pour se lever et pour ne pas cesser de croire.
Dans l’histoire de l’humanité, nous sommes à un point tournant. Nous avons à faire des choix difficiles, mais incontournables. Nous devons rapidement changer de paradigme. Si c’est dans l’instant où la mort s’avance comme une fatalité que notre esprit produit le plus de ressources créatives pour lui échapper, nous devrions tous et toutes agir comme si tel était le cas. À l’échelle planétaire, le temps nous est compté de la même manière qu’à l’occasion de nos derniers souffles.
Personne ne viendra à notre secours. Nous sommes les seuls à pouvoir inverser le cours des choses. C’est même notre plus grande responsabilité à nous, qui sommes nés à cette période-ci de l’histoire. C’est aussi le plus grand défi jamais posé! Quel paradoxe extraordinaire que de vivre en ces jours si chargés de tensions et de possibilités de basculement.
Alors! Que diront nos descendants dans 50 ou 75 ans de cette époque-ci? Verront-ils la lumière ou les ténèbres. L’espérance est le moteur de l’action. Il est urgent d’en trouver de nouvelles sources.
***