Y a-t-il vraiment de quoi s’étonner des révélations sur l’exploitation de religieuses au Vatican? Après le mouvement de dénonciation #moiaussi dans le star-système, l’arène politique et le monde de l’humanitaire, voilà qu’on balance la part de l’Église catholique dans le traitement inéquitable des femmes.
Bien sûr, il y a l’inépuisable débat de l’ordination des femmes. Or, il est plutôt question ici des conditions de travail des religieuses, où la servitude révèle une intersection d’enjeux: religieuses issues de pays du Sud cherchant un avenir meilleur, assignations par leurs supérieures à des rôles domestiques aux antipodes de leur formation universitaire en théologie, comportement ingrat de la part du clergé que ces religieuses servent pour de maigres et aléatoires salaires.
Tout comme les affaires Weinstein, Ghomeshi ou Salvail, tout le monde savait à l’interne mais n’osait rien dire. La beauté du cas des religieuses réside en ce que la parole éclate via un média officiel du Vatican, soit le supplément mensuel Femmes Église Monde du journal L’Osservatore Romano, dirigé par l’éditorialiste Lucetta Scaraffia, qui ne craint pas de se définir comme féministe catholique.
Ainsi, il est possible de crier, de décrier, à même l’institution-Église. Plus qu’une possibilité, c’est une responsabilité qui incombe à toute personne qui se sent lésée. La foi chrétienne propose la symbolique du corps du Christ dont tous les fidèles sont membres. Cependant, la main n’a pas à blesser la jambe, la tête n’a pas à insulter le pied. Le christianisme proclame le renversement de l’ordre établi, une bonne nouvelle subversive qui appelle à élever les humbles et à combler les affamés. Tant que ce ne seront que des paroles, tant qu’elle ne donnera pas l’exemple dans son organisation, l’Église continuera de cumuler scandales et déceptions.
Les femmes et l’avenir
Un congrès international sur la place des femmes en Église se tient à Rome cette semaine – mais pas au Vatican, puisque le préfet de la Congrégation pour les laïcs, la famille et la vie a rejeté la participation de quelques panélistes, dont l’ex-présidente irlandaise Mary McAleese, sur la base de propos pro-mariage gai et pour l’ordination des femmes. Voices of Faith, une organisation indépendante du Vatican, s’inspire de Black Lives Matter en proposant le thème Why Women Matter pour le congrès. On a encore bien des croûtes à manger dans cette Église qui se dit «experte en humanité».
Il est clair que la majorité des laïques engagées en Église, bénévoles ou salariées, sont des femmes. Feu Mgr Jean-Guy Hamelin, évêque fondateur du diocèse de Rouyn-Noranda (Québec), reconnaissait déjà dans les années 1980 l’exclusion des femmes du leadership décisionnel en Église et des ministères ordonnés. Il soulignait aussi le déficit de crédibilité que cela causerait à l’Église.
Une trentaine d’années plus tard, la décroissance de l’Église catholique québécoise se poursuit, tout comme le déclin du personnel pastoral laïc et majoritairement féminin. Finies les années où des agentes de pastorale diplômées assuraient une bonne part de l’animation catéchétique et paroissiale. La question de l’ordination des femmes se pose dans un vaste contexte d’enjeux touchant l’avenir, la capacité de repenser la relève, sa formation, sa rémunération, sa rétention.
Certes, il y a des ouvertures: la nomination d’une coordonnatrice de paroisse à Rouyn-Noranda, la célébration d’un mariage par une religieuse…
Le problème de ces ouvertures consiste en ce qu’elles émergent comme une réponse à une carence.
Je souhaiterais plutôt qu’une sainte audace théologique conduise l’Église à reconnaître réellement les charismes des femmes, au-delà des capacités organisationnelles et de la suppléance, et à instituer des ministères où elles puissent être pleinement valorisées: prédicatrices, accompagnatrices, animatrices de communautés…
Pour cela, les femmes doivent pouvoir parler entre elles et avec le clergé. Il y a sans doute de nouveaux espaces à inventer, en espérant souffler un peu sur la braise. La tiédeur ne ravivera pas le feu.