Le voyage du pape François en Irlande et ses discours de mobilisation pour les familles auront été occultés de façon spectaculaire par les nouvelles provenant des États-Unis, tant avec la révélation du scandale des 300 prêtres pédophiles, que la destitution d’un proche, le cardinal Theodore McCarrick, accusé d’abus sexuels, et plus encore par les allégations de l’ex-ambassadeur du Vatican à Washington de 2011 à 2016, accusant le pape lui-même d’avoir couvert le haut personnage pendant ses années de pontificat.
La longue lettre de Mgr Carlo Maria Vigano a fait l’objet de nombreuses dénonciations et attaques contre son auteur. Je ne reviendrai pas sur le caractère controversé du personnage ni sur l’intérêt qu’il aurait de se prêter au jeu des antipapes. Les allégations sont extrêmement graves et si les faits étaient avérés, cela pourrait achever l’œuvre en cours de destruction de la confiance en l’institution deux fois millénaire.
Comprenons cependant que, depuis Vatican II (1962-65), de nombreuses franges ultraconservatrices militent pour une restauration de la grandeur de l’Église par la réaffirmation de son autorité sur les pouvoirs civils tout autant que par le renforcement de son enseignement doctrinal. Celles-là regrettent que l’Église s’écrase devant les États, s’abaisse à jouer dans l’œcuménisme en allant même jusqu’à reconnaître une valeur positive aux autres religions et surtout qu’elle perde son influence morale sur les mœurs des catholiques eux-mêmes.
Le refus de l’évolution de l’Église et de quelque aspect de sa doctrine constitue le fer de lance de ces gardiens de la tradition qui n’attendent que le moment propice pour réinstaurer la «vraie papauté».
La bougie d’allumage
Dans le contexte du scandale qui frappe l’Église catholique aux États-Unis, voici que ces objecteurs semblent avoir trouvé l’angle d’attaque pour forcer François à quitter son siège. En pourfendant la «culture homosexuelle», qu’ils conçoivent comme un «homo-progressisme» laxiste causant de la déchéance de l’Église, dont la pédophilie de masse serait la conséquence, ceux-ci se servent de la vague d’indignation pour justifier leur vision. En purgeant l’Église de tous ces prêtres déviants, des pervers qui l’ont envahie, de ceux qui les ont protégés jusqu’au plus haut niveau, ils croient pouvoir redorer son blason et assurer qu’elle peut encore se maintenir contre vents et marées.
Prenant le relais des titres accrocheurs, de nombreux commentateurs ont ciblé le pape, critiquant l’usage malheureux du mot «psychiatrie» en répondant à une question sur l’homosexualité d’un enfant. Des raccourcis injustes ont eu pour effet de détourner l’intention du cœur de sa réponse: inviter à soutenir les parents dans leur rôle d’accueil, de reconnaissance et d’accompagnement de leur enfant présentant une orientation homosexuelle pour une vie plus harmonieuse.
Il s’agit pourtant d’une position plus explicite encore que celle qu’il avait exprimée lors du retour d’un voyage semblable en 2013 avec son fameux «qui suis-je pour juger?». Le pape François donne de l’eau au moulin de ses détracteurs catholiques qui l’accusent d’avoir laissé les «lobbys gais» s’emparer de l’Église.
Un schisme à l’horizon?
Chaque concile voit surgir son lot de détracteurs internes. Des groupes finissent par se mettre en retrait, hors de la communion avec Rome. Pensons à l’Église vieille-catholique, en rupture à la suite de Vatican I (1870) et aux lefebvristes après Vatican II (1965).
Les avancées pastorales du pape François sont à ce point provoquantes qu’elles ne peuvent que nourrir cette nouvelle vague de rébellion. Celui-ci amène des significations nouvelles à certaines vérités morales et oriente peu à peu l’Église vers une révision en profondeur de son enseignement sur certains points de doctrines, par exemple sur l’accès à la communion pour les divorcés-remariés. Même sans l’horizon d’un concile, les antipapes ont de quoi nourrir leurs velléités de renversement.
Le danger est-il réel? En tout cas, les conditions semblent réunies suffisamment pour que le coup d’état soit tenté avec ce pamphlet de Vigano. Mais le plus probable, c’est que cette bataille continue d’être menée dans les hautes sphères de l’Église, laissant la plupart des fidèles à eux-mêmes, avec l’impression d’avoir à se positionner dans l’un ou l’autre camp ou de lui tourner le dos définitivement.
Il est peut-être là, en effet, le véritable schisme, pas tant au niveau institutionnel et de manière fracassante, mais par l’accélération de la désaffection des forces vives progressistes et du nombre de fidèles qui ont cru, l’espace de quelques décennies, que leur Église allait vraiment pouvoir mettre en œuvre l’ouverture au monde qu’elle avait annoncée à Vatican II, se mettant à l’écoute «des joies et des espoirs, des tristesses et des angoisses des hommes de ce temps, des pauvres surtout et de tous ceux qui souffrent» (Gaudium et spes 1).
Schisme ou non, la barque de l’Église est au cœur d’un ouragan de forte intensité pendant que son équipage s’affaire à chercher qui l’a mise dans une telle situation. En s’enfonçant dans des dissensions internes qui n’en finissent plus, elle prête le flanc à toutes les critiques plutôt que de chercher à apaiser les flots.
Lorsque la division s’empare de l’Église, il est du rôle du pape de chercher à la réunifier. L’unique moyen que la tradition a laissé pour y parvenir est la célébration d’un concile. N’en sommes-nous pas là? Schisme ou concile? C’est peut-être l’alternative qui réside actuellement entre les mains du pape…
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