Lorsque François Legault déclare qu’il n’y a pas d’islamophobie au Québec et qu’il tente le lendemain de se rattraper en prétendant qu’il n’y a pas de «courant islamophobe», il est à se demander s’il regarde les mêmes commentaires des réseaux sociaux que la plupart des gens, y compris sous ses propres publications!
Lorsque sa nouvelle ministre à la condition féminine, Isabelle Charest, donne une interprétation univoque du voile des femmes ou des signes religieux quels qu’ils soient comme étant des «signes d’oppression», en quoi peut-elle ensuite défendre la laïcité dont le principe de neutralité implique que l’État n’a pas à s’ingérer dans les religions?
Lorsque Nathalie Lemieux, conseillère municipale de Gatineau, défend mordicus qu’il est «normal» d’avoir peur des musulmans, qui «font beaucoup de choses mal, avec leurs camions et toutes ces choses-là», on est en droit de se questionner sur la capacité de certains élus à départager avec bon sens différents enjeux qui n’ont rien à voir entre eux.
Il semble que les opinions individuelles des personnes en situation de service public deviennent prédominantes en ces jours qui évoquent une nouvelle «grande noirceur». En effet, si les croyances des élites politiques s’imposent sur celles des citoyens qu’ils sont censés servir, en quoi cela nous éloignerait-il de ces années où la religion dominait la pensée des Québécois?
Ne sommes-nous pas collectivement en train de subir un appauvrissement du concept même de service public lorsque nos élites font preuve de si peu de prudence dans leur étalage d’ignorance?
Le véritable assujettissement
De tels propos se caractérisent par leur négation. Négation de réalités que l’on peine à reconnaître et à intégrer, en grande partie parce qu’elles requièrent un déplacement intérieur. Leur condescendance traduit peur et intolérance devant tout ce qui ne se plie pas au modèle dominant.
Ce modèle, c’est celui de l’individualisme exacerbé que l’on applaudit tant et aussi longtemps qu’il ne nuit pas au paradigme du citoyen-consommateur. Notre idéal de diversité est trop souvent chimérique: tu es ce que tu achètes, ce qui sous-entend également que tu puisses changer d’identité dès ton prochain achat.
L’identité religieuse, ancrée dans la tradition, observée et déployée durant toute une vie, semble de plus en plus difficile à concevoir pour nombre de nos concitoyens, y compris nos élus, qui se targuent de valoriser un idéal social de liberté. Or il n’en est rien.
Leurs vues traduisent avant tout le souci de nourrir un modèle économique qui préfère l’homogénéité à la diversité et qui doit pour cela miser sur le déracinement et l’extrême fluidité de citoyens réduits à des ressources dont la finalité est de produire de la richesse.
En appliquant cet idéal social au port de vêtements ou de signes religieux ostentatoires, considérés dans une lecture réductrice de dominant/dominé, nous sommes conduits à défendre une conception de la liberté assortie d’une prescription de se plier aux exigences de la masse, et donc du marché. Tes valeurs sont valables… tant et aussi longtemps qu’elles te permettent de te conformer.
Si dans certains pays, dominés par des mâles religieux, on impose aux femmes un type particulier de vêtements et de comportements pendant qu’ici on se met à leur interdire de porter tout signe religieux lorsqu’elles occupent certains postes, vous voyez une différence, vous? Dans les deux cas, c’est une pensée monolithique qui est en jeu: pas de place pour le choix individuel s’il n’est pas en accord avec le système dominant.
Il est beau notre idéal laïque…
Un peu de culture religieuse
Depuis son introduction en 2008, on a beaucoup critiqué le programme Éthique et culture religieuse. Pourtant, si nous regardons du côté de ces jeunes qui y sont «soumis» depuis dix ans, nous pourrions nous demander comment il se fait que ce n’est pas de leur côté que nous trouvons le plus grand nombre de xénophobes, d’islamophobes ou de «religiophobes»! Cela sans doute parce qu’ils savent, eux, pourquoi ces gens prient de telle manière, pourquoi ils portent tels symboles, pourquoi certains cherchent à développer une discipline particulière, pourquoi d’autres paraissent étrangers à notre mode de vie.
Non pas qu’il faille tout accepter sans rien dire – les religions tout comme l’athéisme militant doivent accepter d’être critiqués dans une société démocratique – mais le faire en les connaissant davantage nous rend aptes à mieux comprendre et, surtout, à entrer en dialogue.
C’est bien le moins que nous puissions attendre de nos dirigeants politiques: s’informer davantage afin de chercher les bases d’un compromis social qui donne un signal d’inclusion. Car les divisions ne servent, au final, que les intérêts d’un marché qui préfère une majorité silencieuse qui consomme à une diversité qui questionne certaines valeurs dominantes et le conformisme à tout prix.
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