NDLR : l’auteur évoque un mouvement important qui se passe dans l’Église catholique depuis l’arrivée du pape François. Ce dernier, dans sa première encyclique, publiée en 2013, voulait une Église «en état permanent de mission». Dans la foulée, les évêques du Québec ont publié l’an dernier un document intitulé «Le tournant missionnaire des communautés chrétiennes». Dans la même veine s’est tenu, à l’Université Laval en août 2017, un colloque concernant plus spécifiquement l’application de ce virage à l’initiation et à la formation des croyants.
J’ai participé au colloque intitulé «Au cœur de la foi, la mission! Prendre le tournant missionnaire en formation à la vie chrétienne». Pour l’Église catholique du Québec, il faut reconnaître que d’avoir pu réunir ensemble 400 personnes engagées à plusieurs titres constitue le plus grand happening du genre à survenir depuis longtemps.
Et pourtant, malgré une organisation bien ficelée, il pourrait ne pas donner les fruits attendus.
Virage de bord?
Je travaille moi-même dans ce domaine de formation qui regroupe tout autant l’initiation chrétienne des petits enfants que la catéchèse aux différents âges de la vie. Comme bien des collègues, je tente de pousser ce mouvement chez nos «agents et agentes de terrain» pour modifier considérablement nos approches, notre vision du monde. Mais je dois avouer que les changements sont à peine perceptibles.
Un colloque à ce moment de la vie de l’Église devait frapper dans le mille. Pour donner le ton, les organisateurs avaient fourni aux participants un «Journal de virage de bord», un jeu de mots invitant ces derniers à une véritable conversion, y compris pour les évêques présents.
On y a répété, par exemple, que «peu de choses de ce que nous avons connu subsistera», que le statu quo est impossible, mais le contraire reste le plus probable. En effet, il y a un paradoxe insoluble dans le fait que des prophètes annonciateurs de changements se succèdent depuis des décades sans que rien ne fasse s’ébranler les colonnes du temple. Les gens viennent moins à la messe? «Tant pis pour eux, on ne touchera à rien et on s’arrangera entre nous, les vrais…»
De nombreux catéchètes triment dur pour accueillir ceux et celles qui se présentent encore dans les paroisses, adaptant leurs parcours comme ils peuvent. Mais les groupes d’enfants diminuent constamment. Leurs parents se désintéressent de leur cheminement, espérant que leurs enfants «fassent leurs sacrements» au plus vite pour qu’on n’en parle plus! Après les mariages et les baptêmes, même les funérailles souffrent de la compétition laïque qui s’avère bien plus au goût du jour que l’offre religieuse. Les ressources diminuent, créant un mouvement de plus en plus concentré sur les besoins internes. On passe à côté des véritables enjeux actuels.
Une Église «en sortie»?
Le pape réclame que l’Église cesse d’être sa propre référence en pointant plutôt vers les pauvres, les sans voix, les migrants et tous les humains qui luttent pour un peu de bonheur. Ce changement de cap la ferait passer de la rigidité à la créativité, de l’attentisme à cet état permanent de mission dont il rêve. Il faut, dit-il, «sortir de nous-mêmes, de nos manières routinières de vivre la foi qui ferment l’horizon de l’action créative de Dieu ; […] sortir vers la périphérie, vers les oubliés de l’existence».
Ce colloque est un bel effort pour réveiller les troupes. Toutefois, même les spécialistes demeurent sans mot pour offrir au peuple de véritables options, des pistes réalistes pour se lancer dans cette conversion missionnaire. La réponse spirituelle, «c’est l’Esprit qui nous guidera», est toujours scandée, mais y croit-on?
Aussi n’est-il pas surprenant qu’on revienne au connu, plaidant en faveur de ceux qui, «Dieu merci!», frappent encore aux portes de l’Église et qui sont aux «périphéries existentielles». Qu’est-ce que c’est, une périphérie existentielle? Tout simplement les peines et les angoisses que vivent les gens. Assurément, tout le monde se trouve confiné dans des situations difficiles à un moment de sa vie. Les gens d’Église savent de mieux en mieux les accueillir et les écouter. Mais cela n’en fait pas des «disciples-missionnaires» pour autant.
Dans le contexte de ce colloque, l’insistance sur les périphéries existentielles pourrait à elle seule tuer l’élan missionnaire envisagé par le pape. Car il n’est pas tant une question de résistance au changement que de conviction de déjà bien faire. En effet, certains en déduiront qu’il leur suffit de poursuivre ce qu’ils font sans jamais avoir à quitter leur bureau, leur sacristie ou leur local de catéchèse…
Or, le monde dans lequel ils vivent est en danger: par les souffrances vécues massivement dans les pays où subsistent l’injustice et les migrations forcées; par les enjeux du vivre ensemble dans nos sociétés inquiètes; par les victimes du climat perturbé et du capitalisme sauvage, etc. Les chrétiens sont concernés parce que c’est là qu’ils trouveront leurs «prochains» que le Christ les invite à chercher.
Si la conversion promue par les autorités n’encourage pas une véritable exploration hors des sentiers battus, si les nouvelles propositions ne poussent pas les croyants à plonger littéralement dans l’inconnu, dans la boue du monde pour s’en salir les mains, l’Église s’agrippera alors encore longtemps à sa bouée du connu et du statu quo. Une Église en sortie? Je ne crois pas. Pas encore.