La présence de Gabriel Nadeau-Dubois à un souper-bénéfice d’un OBNL œuvrant auprès des familles musulmanes, notamment dans le cas des enfants qui ont fait l’objet de signalements à la direction de la Protection de la Jeunesse (DPJ), a suscité son lot de réactions depuis une semaine.
Il serait devenu suspect pour n’importe quelle personnalité publique de se présenter à un événement apparenté à l’islam. Une photo officielle en présence de quelques femmes portant le voile devient vite l’objet de dénonciations appuyées. Des politiciens sont vite étiquetés de sympathisants islamiques, favorables à la charia voire à l’islamisation du Québec! Désignés du doigt, ils sont acculés à une posture défensive au point où plusieurs choisissent de ne plus accepter de telles invitations.
L’absence d’élus ou de personnalités auprès des milieux communautaires est généralement à déplorer, mais plus encore si ceux-ci excluent de leur agenda toute rencontre formelle avec des groupes confessionnels, comme si ces derniers étaient des lépreux modernes.
Vers plus d’accommodements confessionnels?
Le rêve, exprimé candidement puis démenti par Soraya Zaidi, directrice de l’organisme Défi-lles et des ailes, de créer une «DPJ musulmane», serait-il si incompatible avec une société laïque? N’avons-nous pas déjà des écoles confessionnelles privées qui inculquent à des élèves juifs, chrétiens ou musulmans des valeurs soi-disant plus conformes aux religions qui les soutiennent? Une certaine mouvance multiculturaliste s’en ferait aisément le porte-étendard.
Prenons l’exemple d’un enfant retiré de sa famille pour être confié à la DPJ. Ne serait-il pas préférable qu’il puisse bénéficier d’un lieu d’accueil qui correspond aux valeurs de sa famille plutôt que d’être plongé au cœur d’une ressource où il se retrouve dépossédé de tout ce qu’il connaît? Est-ce que l’immigrant doit forcément se dépouiller de toute son identité culturelle et religieuse pour satisfaire à une exigence de conformité à une culture qui serait meilleure parce qu’elle est celle de la majorité d’accueil? N’avons-nous pas vu une telle chose se produire avec les pensionnats autochtones qui ont été dénoncés par tous comme un génocide culturel?
Ne nous y trompons pas: offrir à certaines communautés ethniques ou religieuses leur propre système de droits ou encore, comme c’est le cas, d’institutions d’éducation spécifiques, seraient des dispositions qui vont à l’encontre du projet de société qui s’est esquissé depuis la Révolution tranquille.
Par contre, la méconnaissance et parfois l’ignorance complète de la réalité des familles issues de l’immigration justifient à elles seules tous les efforts qui visent à faire admettre qu’il existe, ici dans «notre Québec national», un phénomène structurel discriminatoire des minorités auquel s’ajoute de plus en plus le facteur religieux.
Et après, nous nous vexons d’un manque d’intégration perçu de certains groupes! En fait, nous sommes collectivement pris en défaut face à nos minorités visibles. Nous avons erré de la même manière face aux Premières Nations et nous n’avons visiblement pas pris la mesure de notre faute.
Les personnes intervenant dans les centres jeunesse du Québec sont le reflet de la population qui les a éduquées. Le plus souvent, elles connaissent la réalité des familles immigrantes de manière superficielle: elles peuvent déprécier les valeurs et les coutumes de ces familles, entraînant possiblement des mesures aggravant la situation de ces enfants plutôt que de leur offrir les meilleures conditions pour leur développement.
Notre vie durant, nous demeurons attachés aux valeurs qui nous ont été transmises par nos parents, à partir de leur culture, leurs croyances. C’est toujours à partir de ces valeurs que nous grandissons en découvrant celles des autres, retenant celles qui font de nous des êtres uniques, des cadeaux à rendre accessibles à tous.
Plus d’occasions de reconnaissance mutuelle
N’est-il pas temps de mieux connaître ces «étrangers» que nous avons accueillis chez nous ET de mieux nous faire connaître d’eux? Nous présenter mutuellement afin de trouver des manières nouvelles de nous respecter dans nos différences? Après les joies de la découverte, viendra le temps de nous interpeller réciproquement sur le sens et la valeur de nos choix collectifs qui, de toute façon, ne cesseront d’évoluer, comme toujours.
Nos écoles doivent devenir des lieux qui encouragent le vivre-ensemble et non pas la séparation. Notre système de santé et de protection doit mieux reconnaître les valeurs propres à certaines communautés culturelles pour s’adapter sans tout sacrifier des valeurs communes. Nos assemblées d’élus, à tous les paliers, se doivent de mieux appréhender cet enjeu vital pour l’avenir de notre société, en élaborant des programmes innovateurs pour que nous développions une culture de la rencontre.
Pour construire un Québec qui va de l’avant, il faut changer quelque chose de cette atmosphère de mépris et d’hostilité réciproque. Ce n’est pas d’une DPJ pour chaque communauté que nous avons besoin, mais bien d’une société vraiment inclusive qui respecte mieux les différences, acceptables, les reconnaissant d’abord comme des atouts qui favorisent l’épanouissement de chaque personne dans une société rassembleuse.