Directrice des communications à l’archevêché de Montréal durant vingt-quatre années, Lucie Martineau a annoncé en juin que l’heure de la retraite avait sonné pour elle. Quelques jours avant son départ, elle a confié à l’agence de presse Présence quelques réflexions sur les communications en Église.
Vous avez travaillé près d’un quart de siècle pour l’archidiocèse de Montréal. Qu’est-ce qui a changé dans la relation entre les médias et l’Église durant ces années?
Tout. Tout a changé. Il y avait des chroniqueurs religieux partout. À Radio-Canada, il y avait un Service des émissions religieuses. On avait des relations suivies avec une presse laïque ou religieuse qui venait aux nouvelles. On connaissait bien les gens des médias et ils nous connaissaient bien. Ils suivaient les dossiers et ils nous interpellaient régulièrement.
L’Église était à ce moment-là un interlocuteur important dans tous les grands débats de société. Je pense à l’animateur de radio Gilles Proulx. Dès qu’il traitait d’une grande thématique à son émission, il voulait savoir ce que l’Église en pensait. Au moment des élections, Mgr [Jean-Claude] Turcotte – il n’était pas encore cardinal à mes débuts à l’archidiocèse – se faisait constamment demander quelles valeurs ou préoccupations il souhaitait que les candidats appuient. On a obtenu plein d’entrevues de ce type.
Aujourd’hui, on reçoit encore de telles demandes dans les diocèses?
(Long silence) Non. Pas en grand nombre, il faut bien l’admettre. Il y a un moment où le religieux a été évacué de la vie publique. Les gens, je le pense, sont demeurés religieux mais le religieux est vraiment sorti de l’espace public.
Montréal fête cette année son 375e anniversaire. On doit reconnaître que la lettre pastorale que Mgr Christian Lépine, l’archevêque de Montréal, a consacrée à cette fête ainsi que la messe qu’il a présidée à l’église Notre-Dame ont eu peu de retombées médiatiques. Cela aurait été différent il y a 24 ans?
C’est certain que cela aurait été de gros événements. On aurait tenu un point de presse. La salle se serait remplie.
En 1993, les évêques du Québec revenaient de Rome pour leur visite ad limina. Les évêques ont tenu un point de presse avait de s’y rendre. Ils en ont fait un autre à leur retour. Vingt, vingt-cinq journalistes se sont présentés. J’entends encore Simon Durivage lancer: «C’est bien intéressant. Vous reviendrez nous parler de ce que le pape vous a dit». Il y avait un réel intérêt. Les évêques ont aussi effectué une visite ad limina cette année. Leur séjour n’a pas obtenu le même intérêt dans la presse, malgré la grande popularité du pape François.
En réaction au fait que les médias ne s’intéressent plus à eux, les diocèses ont multiplié leurs propres outils de communication, notamment sur le Web. Que penser de cette stratégie?
J’ai été de ceux et de celles qui étaient contre le fait que l’Église ait ses propres moyens de communications. J’ai favorisé que les diocèses travaillent avec les médias traditionnels. Mais il est arrivé un temps où les médias profanes, appelons-les comme cela, ont cessé de publier des nouvelles d’Église même si on communiquait régulièrement avec eux.
Je donne cet exemple. En 1998, on a vécu, à Montréal, une assemblée synodale. La table des médias a été constamment occupée durant les deux jours de cet événement. On comptait trois journalistes de La Presse qui a même consacré un éditorial au synode diocésain. La télévision était là. On tenait une salle de presse, comme au gouvernement. On imprimait et on distribuait aux journalistes les résolutions dès qu’elles étaient votées.
À ce moment-là, on n’avait pas encore un site Web qui rendait publics les textes diocésains. Je constate aujourd’hui que le désintérêt des médias pour l’Église a précisément coïncidé avec la démocratisation du Web.
Mais je ne suis pas certaine que ce soit seulement le cas de la religion. Des gens qui travaillent en finance me disent que les médias les couvrent moins aujourd’hui ou bien différemment qu’hier. Je pense aussi aux affaires sociales, à la culture. On constate qu’il y a moins de chroniqueurs spécialisés dans les médias. Il y a de bonnes équipes qui font de l’enquête, mais le travail, patient et quotidien qu’exige le métier de journaliste spécialisé, c’est moins présent.
Au moment de prendre votre retraite, quels défis identifiez-vous pour les communicateurs en Église?
Contrairement à ce que je pensais au début, on n’a plus le choix aujourd’hui, il faut avoir nos propres médias. Mais il faut aussi trouver des sous et des moyens pour aller rejoindre le grand public, là où il se trouve, dans sa quête de sens, dans ses besoins. C’est le grand défi.
Les gens plus proches, les catholiques de la base, on va les rejoindre par nos médias. Mais il faut développer ou encore trouver les moyens de parler aux autres publics. Peut-être faut-il redonner de la formation aux communications? Je ne sais pas.
Mais je pense que le tournant missionnaire qu’entreprend l’Église du Québec, c’est l’occasion de développer de nouvelles façons de faire.