Constitué officiellement en septembre 2018 par les évêques du Canada, le Comité permanent pour le ministère responsable et la protection des personnes mineures et vulnérables s’est réuni pour la toute première fois le lundi 20 janvier 2020. Mais le fait que l’identité de la majorité de ses membres soit maintenue secrète irrite des victimes, qui y voient un manque de transparence.
C’est un communiqué de presse de la Conférence des évêques catholiques du Canada (CECC), diffusé le 28 février 2020, soit plus un mois après l’événement, qui a annoncé la tenue de la rencontre inaugurale de ce comité créé lorsque les évêques ont adopté, lors de leur assemblée plénière de 2018, leur guide officiel sur la question des abus sexuels dans l’Église catholique canadienne. Le communiqué ne précisait pas la date, se contentant de dire que la rencontre a eu lieu «récemment à Ottawa».
«La réunion des membres du Comité permanent constitue un nouveau pas pour l’Église au Canada dans son engagement à réparer les graves dommages causés par les abus sexuels aux victimes et à leurs familles, et à assurer la sécurité de tous les milieux de pastorale», a indiqué vendredi le service des communications de la CECC.
«Je suis reconnaissant envers les membres du Comité permanent, qui apportent à nos discussions une riche expertise professionnelle et personnelle», a déclaré le président du Comité permanent, l’archevêque J. Michael Miller.
Selon l’archevêque de Vancouver, «il ressort clairement de notre première réunion que les membres désirent ardemment travailler pour réaliser de véritables changements pour empêcher que des abus ne se reproduisent, en plus d’exercer leur rôle vital de promoteurs de la guérison des victimes-survivants.»
«Bien qu’il ne soit pas une instance décisionnelle, le Comité permanent aidera et conseillera la CECC sur le maintien de ses lignes directrices nationales», précise le communiqué. «Il recueillera les informations les plus récentes fondées sur des données probantes, cernera les questions émergentes et identifiera les meilleures pratiques. Il traitera des questions relatives à la guérison et à la prévention, agira comme groupe de rétroaction et forum consultatif, et recommandera des priorités et des initiatives à envisager par les instances compétentes de la CECC», indique aussi la conférence épiscopale.
L’identité d’une majorité de membres tenue secrète
Seize personnes sont membres de ce comité. La CECC ne divulgue toutefois que les noms de six d’entre elles, soit les cinq évêques, dont Mgr Miller ainsi que le président de la CECC, Mgr Richard Gagnon, et le secrétaire général de la CECC, Mgr Frank Leo. Les noms des dix autres membres du Comité permanent ne seront pas dévoilés «pour des motifs de protection de la vie privée», a indiqué par courriel Lisa Gall, la coordonnatrice des communications. La CECC ne rend publics que «leur domaine d’expérience ou leur compétence professionnelle».
Le Comité permanent compte donc deux victimes et survivants, un membre d’un institut de vie consacrée, deux experts en protection de l’enfance, un psychologue, un avocat de droit civil, un conseiller en communications, un canoniste et un représentant des catholiques orientaux.
Le service des communications n’a pas voulu divulguer à quelle congrégation religieuse appartient le représentant d’un institut de vie consacrée appelé à siéger à ce comité. Plusieurs communautés religieuses, présentes au Québec, ont été traînées ces trois dernières années devant les tribunaux pour des affaires d’abus sexuels commis par leurs membres.
L’archevêque de Gatineau, Mgr Paul-André Durocher, est le seul évêque francophone à faire partie du Comité permanent. Ex-président de la CECC, il connaît très bien le dossier des abus sexuels. Il était l’évêque d’Alexandria-Cornwall lorsque fut rendue publique, en 2009, l’Enquête publique sur Cornwall, présidée par le juge G. Normand Glaude et consacrée aux allégations de mauvais traitements infligés à des jeunes par des représentants d’institutions dont l’Église catholique.
«Outre Mgr Durocher, il y a cinq francophones qui sont membres du comité», a indiqué hier la porte-parole de la CECC.
On ne sait pas non plus combien de femmes sont membres du nouveau Comité permanent ni si les deux «victimes et survivants» qui en font partie ont été dédommagés pour les sévices et les abus qu’ils ont dénoncés.
Des victimes dénoncent un manque de transparence
Brenda Brunelle, une dirigeante ontarienne de l’organisme SNAP (Survivors Network of Those Abused by Priests), n’a pas été invitée à participer aux rencontres de ce comité épiscopal. Et elle ne connaît pas les noms des victimes qui ont accepté d’en faire partie, a-t-elle expliqué le 4 mars. Cette résidente de Windsor, abusée par un prêtre lorsqu’elle avait 12 ans, était présente à Cornwall, en septembre 2019, lors de l’assemblée plénière de tous les évêques canadiens. Elle réclamait, à l’extérieur du bâtiment où les évêques étaient réunis, que l’Église rende publics les noms des prêtres qui ont été accusés ou condamnés au fil des années.
«C’est décevant d’avoir tant travaillé auprès des évêques et d’apprendre aujourd’hui qu’ils n’invitent aucun défenseur des victimes à ce comité. Cela témoigne que l’Église se soucie davantage d’avoir l’air de faire la bonne chose plutôt que de réellement faire la bonne chose», a-t-elle déploré. «Tout se fait sous le sceau du silence. On est loin de la promesse d’agir avec transparence dans ce dossier.»
«Non, je n’ai pas été invité à faire partie de ce comité même si j’ai régulièrement demandé à être consulté. Et non, je ne connais personne qui ait été invité», fulminait hier soir Carlo Tarini, le directeur des communications du Comité des victimes de prêtres. «On repassera pour la transparence de la part des évêques. Cela fait des années et ils ne changent pas.»
«Encore une fois, les victimes et leurs représentants sont ignorés, c’est une honte», a-t-il déclaré lorsque le journaliste lui a annoncé la tenue de cette première rencontre du Comité permanent pour le ministère responsable et la protection des personnes mineures et vulnérables.
«Si les évêques canadiens m’avaient fait l’honneur de me consulter sur le dossier des victimes de prêtres prédateurs d’enfants, je leur aurais d’abord conseillé de passer à la confesse. J’ai si souvent sollicité les évêques pour que les victimes soient consultées.»
«Je conseille aux évêques de cesser de traiter le viol d’enfants comme un pêché quand ce sont des crimes sérieux.» Sinon, prévient-il, «leur exercice sera une farce totale».
«Cette pseudo-commission interne d’enquête sur des crimes sur des enfants, c’est calqué sur les enquêtes du président Trump sur ses propres activités criminelles. Les évêques cherchent l’opinion d’autres personnes, en prenant le temps qu’il faut pour en trouver qui diront comme eux. C’est ridicule. Leur jupon dépasse», ajoute M. Tarini.
En 2018, lors du lancement du guide des évêques canadiens sur les abus sexuels, Carlo Tarini avait déploré l’absence de toute consultation auprès de son organisme. «Que l’on ne nous ait pas consulté, que notre nom n’apparaisse même pas parmi les ressources disponibles pour les victimes, c’est, disons, pour le moins triste», avait-il réagi. «On n’a même pas reçu un exemplaire de ce document.»
«On parle au nom des victimes de prêtres et de religieux depuis une douzaine d’années. Les évêques savent qui on est. J’ai toujours tendu la main au nom des victimes. J’ai maintes fois écrit à des évêques pour demander de l’aide et présenter des dossiers de victimes. Mais on nous a toujours traités de manière hautaine», avait alors déploré le porte-parole du Comité des victimes de prêtres.
Contacté par téléphone, Lucien Landry, le président du Comité des orphelins de Duplessis, a aussi indiqué ne pas faire partie du Comité permanent. «Et je ne suis pas trop surpris de ne pas avoir été invité. On a pas mal brassé les évêques ces dernières années.»
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