Le révérend Yves Samson, curé de la paroisse anglicane Christ Church de Sorel-Tracy, a l’habitude d’indiquer sur Facebook des précisions sur son emploi du temps.
Aujourd’hui, celui qui est aussi intervenant en soins spirituels dans un centre hospitalier, doit assister à un cours à l’Université de Sherbrooke, respecter un rendez-vous avec un paroissien ou encore présider des funérailles. Il note aussi quand il sera présent à l’hôpital. Habituellement, quelques amis et parents, poliment, commentent ses allées et venues, le saluent ou encore lui souhaitent une agréable journée.
Mais le lundi 3 octobre, Yves Samson a rédigé des notes qui tiennent davantage du journal personnel que de l’agenda.
«Aujourd’hui, j’ai vu un vieil homme, usé et fatigué par l’amiantose, revêtir son bel habit et sa cravate en ce jour solennel où il disait adieu aux siens.»
«Au cours des derniers jours, il leur a parlé à chacune et chacun dans des moments tendres. Aujourd’hui encore, il leur a redit son amour. Nous avons prié ensemble. Puis, il s’est allongé sur son lit. La médecin a expliqué doucement ce qui allait se passer. Lui, il avait fermé les yeux. Ils étaient là, avec lui, alors que lui, il s’en allait tout doucement et en paix. Sa respiration s’est arrêtée, puis son cœur. Il partait sur son chemin d’éternité.»
Pour le patient et la famille
Intervenant en soins spirituels à l’hôpital Honoré-Mercier de Saint-Hyacinthe, Yves Samson accompagnait pour la première fois un patient qui a demandé puis obtenu l’aide médicale à mourir.
Des jours plus tôt, immédiatement après que l’homme ait reçu la signature d’un second médecin, une formalité qu’exige le protocole de l’aide médicale à mourir, il a rencontré cet homme atteint d’une maladie pulmonaire irréversible.
«Le monsieur voulait échanger, faire un bilan sur sa vie et sur ce qu’il avait vécu», raconte Yves Samson. «Cela m’a permis de constater qu’il était véritablement en paix avec sa décision. Et que ça ne suscitait pas de combat intérieur.»
À la fin de cette rencontre, «je lui ai demandé s’il souhaitait ma présence à ses côtés» lorsque le médecin procèderait à l’injection des médicaments qui allaient entraîner son décès. Sa réponse était déterminée: «Je voudrais que vous soyez là pour moi. Et, lorsque je serai parti, que vous soyez là pour ma famille».
Ce premier lundi d’octobre, trente minutes avant l’arrivée prévue du médecin, Yves Samson s’est présenté à la chambre du patient. Les membres de sa famille l’entouraient déjà. «Ce fut un beau moment», raconte-t-il, encore ému par tout ce qui a été vécu durant ces instants de fin de vie.
«On lui a cédé la parole. Il a pu parler aux siens pour une dernière fois. Sa famille a pu lui redire, elle aussi pour une dernière fois, l’importance qu’il avait dans leur vie.»
Quand la médecin s’est présentée, tous se sont retirés, afin qu’elle puisse s’entretenir avec son patient. Yves Samson est ensuite retourné dans la chambre. «On a alors prié ensemble une dernière fois. Il a souhaité recevoir la communion et je la lui ai donnée. Puis j’ai prononcé sur lui une prière de recommandation à Dieu. Ensuite, les membres de la familles sont venus nous rejoindre.»
Trente minutes après l’injection des médicaments, l’homme cessait de respirer. «Tout s’est fait dans le calme le plus absolu. Tout en douceur», dit Yves Samson.
Funérailles catholiques
Quelques jours plus tard, les funérailles de l’homme ont eu lieu. Dans une église catholique, précise le prêtre anglican. «Sa famille m’a confié que les arrangements funéraires préalables étaient faits et que la volonté exprimée était celle de funérailles à l’église paroissiale.»
Elles ont été célébrées tout juste après ce débat qui a opposé plusieurs évêques catholiques sur l’interdiction ou non de la célébration des funérailles à l’église pour ceux et qui optent pour l’aide médicale à mourir.
Certaines autorités religieuses utilisent constamment le terme euthanasie lorsqu’elles discutent d’aide médicale à mourir. Le révérend Samson n’accepte pas cet amalgame qu’il considère être un dérapage.
«Le mot euthanasie nous enferme dans une dynamique qui ne nous permet pas de nous en sortir. Si je pose un geste, je serai dans une euthanasie active. Si je n’en pose pas et que je regarde partir la personne, je serai dans une euthanasie passive», dit-il.
Avec l’aide médicale à mourir, «on n’est pas ici en train de priver injustement quelqu’un de sa vie. C’est la décision du patient», observe Yves Samson.
«La sécularisation de la société québécoise fait qu’on est passé de ce qu’on appelle l’hétéronomie, des gens qui nous imposent des règles que l’on suivait sans trop se poser de questions, à un contexte d’autonomie où le sujet croyant décide des règles. On ne lui impose pas. C’est sa décision ultime.»
Selon lui, «si l’Église veut continuer d’occuper une place intéressante, elle devra se voir comme une voix parmi tant d’autres. Elle pourra alors proposer sa vision des choses et susciter chez ses fidèles une réflexion. Mais si elle se braque dans des interdits, elle ne sera plus pertinente. Elle se fera échec à elle-même.»
Adoptée en juin 2014 par l’Assemblée nationale du Québec, la Loi concernant les soins de fin de vie lance aujourd’hui des questions importantes aux intervenants en soins spirituels à l’œuvre dans les hôpitaux.
Pour Yves Samson, avoir côtoyé «ce vieil homme, usé et fatigué par l’amiantose, en ce jour solennel où il disait adieu aux siens» stimule ses réflexions alors qu’il entreprend des études doctorales «sur les défis de l’accompagnement spirituel dans le contexte de l’aide médicale à mourir».