Ils sont pasteurs, prêtres, rabbins et imams. Ce matin-là, en cette veille de Vendredi saint et troisième jour de la Pâque juive, plusieurs dizaines d’entre eux sont venus des quatre coins de Los Angeles, accompagnés de leurs fidèles, pour soutenir les immigrés clandestins menacés de déportation.
Tandis que la foule se rassemble devant la petite église méthodiste du Pueblo, le centre historique de la cité des anges, plusieurs pasteurs sortent leurs guitares pour entamer quelques chants dont le célèbre hymne contestataire «This Land is Your Land» composé par le chanteur américain Woody Guthrie. Rapidement le groupe se dirige d’un pas déterminé vers le siège du ministère de l’immigration de Los Angeles. En tête de cortège, une pasteure luthérienne évangélique, entourée d’une militante associative musulmane et d’un rabbin, qui a revêtu son châle de prière. Ils portent une large banderole jaune frappée de l’inscription «santuario para todos». Sanctuaire pour tous.
Ces croyants appartiennent au Sanctuary Movement: un réseau de congrégations religieuses qui accueillent et hébergent dans leurs églises, synagogues et mosquées, des sans-papiers courant le risque d’être arrêtés. Un mouvement déjà actif sous la présidence de Barack Obama mais qui s’est considérablement renforcé depuis l’arrivée de Donald Trump à la Maison-Blanche. Depuis janvier, le durcissement de la politique migratoire américaine qu’il a engagé a mené à l’arrestation de plusieurs dizaines de milliers de personnes en situation illégale.
«Éternel, notre Dieu, puisses-tu mener à bien ta mission qui consiste à nous rassembler. Puisses-tu toucher les cœurs de ceux qui veulent nous séparer », implore le révérend Mike Kinman, recteur de l’église épiscopalienne All Saints à Pasadena, en s’exprimant face à la foule rassemblée en bas des marches du bâtiment fédéral.
Quelques minutes plus tard, les manifestants forment une chaîne humaine devant l’entrée d’un centre de détention attenant au bureau de l’immigration, où sont incarcérés les sans-papiers avant d’être expulsés du pays. Leur initiative est rapidement brisée par les forces de l’ordre, qui menottent et arrêtent dans le calme, une vingtaine de responsables religieux, avant de les relâcher quelques heures plus tard.
Plus de 800 lieux de culte participants
De la Californie à l’Arizona en passant par le Texas ou le Colorado, les congrégations religieuses américaines sont de plus en plus nombreuses à rejoindre le Sanctuary Movement. Selon le révérend Alison Harrington, pasteure d’une église presbytérienne dans l’Arizona, engagée au sein du mouvement, «le réseau d’églises impliquées aurait même quasiment doublé» depuis l’élection de Donald Trump. Plus de 800 lieux de culte se seraient ainsi engagés à fournir une aide et un hébergement à des sans-papiers. Aux États-Unis, même si la police a légalement le droit d’entrer dans une église, elle évite généralement de le faire. Une note des services de l’immigration reconnaît en outre depuis 2011 l’existence de «zones sensibles» tels que les lieux de cultes, les écoles ou les hôpitaux.
«Dans mon église, les gens sont inquiets», témoigne le pasteur Jaime Edwards-Acton, de l’église épiscopalienne St. Stephens à Hollywood. «La moitié de nos fidèles sont hispanophones. Beaucoup n’ont pas de papiers et ont très peur de ce qui pourrait leur arriver. Ils ont entendu parler de voisins et d’amis qui ont été arrêtés par les services de l’immigration.» Très engagé dans le combat pour les sans-papiers, le pasteur a été nommé co-directeur de la Task-Force du diocèse épiscopalien de Los Angeles, dédiée aux clandestins, juste après l’élection de Donald Trump. Son équipe a créé des réseaux de communication rapides afin de permettre aux fidèles et à leurs familles de savoir qui joindre ou chez qui aller en cas de contrôles des services d’immigration. De nombreux fidèles ont proposé d’accueillir chez eux des sans-papiers en danger.
La Task-Force insiste aussi sur l’importance d’informer les immigrés de leurs droits. «Nous distribuons des cartes rouges qui contiennent une série d’informations importantes à connaître absolument si on veut pouvoir faire respecter ses droits en cas de descentes», précise le pasteur Edwards-Acton.
L’action de ces Églises aux côtés des immigrés en situation illégale, ne fait pour autant pas l’unanimité parmi les croyants américains. «Un grand nombre de ces Églises libérales qui accueillent des immigrés illégaux et criminels, considèrent qu’ils suivent l’exemple de Jésus», soulignait récemment sur la chaîne américaine Fox le pasteur baptiste Robert Jeffress, qui officie au sein d’une megachurch de 13 000 membres à Dallas, au Texas. «Le vrai Jésus de la Bible a dit «il faut rendre à César ce qui est à César. C’est-à-dire obéir au gouvernement !» estime-t-il.
Un mouvement né dans les années 80
Le principe de désobéissance civile prôné par les Églises pour venir en aide aux sans-papiers n’est pas nouveau aux États-Unis. Le Sanctuary Movement dont se réclament aujourd’hui de nombreuses Églises, est en fait né au début des années 80, alors que des centaines de milliers de personnes fuyant la guerre civile au Guatemala et au Salvador venaient trouver refuge aux États-Unis. Face à leur détresse et aux risques de déportation qu’ils encouraient, de nombreuses communautés chrétiennes, juives ou encore bouddhistes ont décidé de se mobiliser pour leur venir en aide. Animées par des valeurs de justice sociale et par la tradition prophétique, ces croyants n’hésitaient pas à défier les services d’immigration américains qui cherchaient à restreindre au maximum l’accès de ces réfugiés d’Amérique centrale au droit d’asile.
À l’origine, le mouvement s’appuie sur un concept biblique, celui de «ville refuge», évoqué dans l’Ancien Testament (Nombres 35,11. Dieu y ordonne à Moïse de sélectionner des villes et des endroits de refuge à Canaan, où les personnes persécutées pour homicide involontaire, pourront trouver asile. Dans les années 80, les militants du Sanctuary Movement y ont vu un parallèle avec les sans-papiers aux États-Unis, qui ont, eux aussi, dans une moindre mesure, transgressé la loi fédérale. Mais ils estimaient trop sévère la punition qui attend ces réfugiés: à savoir la déportation et le renvoi dans un pays en guerre, où ils risquent leur vie.
Plus de 500 congrégations ont donc décidé de transformer leurs édifices religieux en lieux d’hébergement et de fournir un soutien juridique gratuit aux sans-papiers qui en avaient besoin. Certains militants pro-immigrés ont même été arrêtés et traduits en justice pour leurs activités jugées contraire à la loi fédérale américaine.
Cette main tendue aux sans-papiers ne concerne pas seulement les communautés religieuses. Dans les années 70 et 80, certaines municipalités se sont également constituées «villes sanctuaires». C’est par exemple le cas de San Francisco qui, en 1989, adopta une loi interdisant aux employés municipaux de collaborer avec les services de l’immigration fédérale. Ces cinq dernières années, face au durcissement des politiques d’immigration, des villes comme New York, Chicago et la Nouvelle-Orléans, ont rejoint les croyants du New Sanctuary Movement dans leur combat pour l’aide et la protection des sans-papiers. Une mobilisation que le nouveau président américain Donald Trump a promis de briser en privant les municipalités de certaines aides fédérales et en menaçant de représailles judiciaires toute personne qui irait à l’encontre de la loi.