Un organisme haïtien de soutien aux femmes fondé par des religieuses québécoises est exaspéré par des demandes répétées de la Conférences des évêques catholiques du Canada qui veut savoir s’il est oui ou non en faveur de la légalisation de l’avortement.
Dans une lettre datée du 27 novembre 2019 remise au directeur général de Développement et Paix, Marie Ange Noël, la coordonnatrice de Fanm Deside, un organisme de Jacmel en Haïti, prend soin de mettre bien en évidence cette phrase: «Fanm Deside n’a jamais supporté ni encouragé les pratiques visant l’avortement».
La dirigeante de cette association de femmes ne comprend toujours pas «qu’une réponse aussi claire et précise soulève encore des préoccupations tant pour les évêques canadiens que pour Développement et Paix».
Fanm Deside (pour Femmes décidées, en créole) est l’un des 52 partenaires de Développement et Paix qui ne recevront plus de financement de l’organisme tant que la Conférence des évêques catholiques du Canada (CECC) n’aura pas obtenu l’assurance que le groupe respecte l’enseignement moral de l’Église catholique.
Il y a une semaine, Serge Langlois, le directeur général de Développement et Paix, acheminait à Marie Ange Noël une nouvelle lettre lui expliquant que, malgré les clarifications fournies à plusieurs reprises, «des préoccupations persistent aux yeux de la CECC» sur Fanm Deside.
«La CECC vous demande de répondre par « oui » ou par « non » à la question suivante», insiste M. Langlois dans sa lettre du 20 novembre 2019: «Pour éviter toute confusion, quand vous dites que Fanm Deside « n’a jamais supporté ou encouragé les pratiques visant l’avortement », est-ce que cela signifie que vous n’appuyez pas la légalisation de l’avortement en Haïti?»
La coordonnatrice refuse de répondre par un simple «oui» ou «non». Elle répond plutôt à Développement et Paix par une longue lettre de trois pages. Marie Ange Noël y déplore que la nouvelle question formulée par la conférence épiscopale canadienne prenne «la forme d’une demande et d’une injonction».
«Dans votre question, vous formulez la réponse que vous attendez recevoir de notre part», écrit-elle.
«Comme toujours, nous répondrons clairement à votre question. Nous irons au fond de la question et prendrons la liberté de bien choisir nos mots afin d’apporter les clarifications demandées. Car il me semble que toutes les réponses élaborées et fournies à Développement et Paix ne suffisent jamais pour la CECC», regrette-t-elle.
Elle rappelle que la légalisation de l’avortement ne figure pas à l’agenda du gouvernement et du parlement haïtien. «Le changement de la loi sur la pénalisation de l’avortement est une prérogative de l’État haïtien et ne relève pas de notre compétence.»
«Ce qui occupe notre quotidien appartient au monde du réel et ne relève pas de spéculations ou d’hypothèses vaines», ajoute-t-elle.
Femmes et fillettes victimes de viols
C’est là qu’elle présente le travail qu’accomplit le Centre Magalie pour la Vie, une maison d’hébergement créée après le tremblement de terre de 2010.
«L’accompagnement de femmes et de fillettes, victimes de viols et d’incestes, enceintes parfois, ne nous laisse pas le temps de spéculer. Quand ces femmes et filles vulnérables arrivent à notre centre d’hébergement, elles ne nous demandent pas de les aider à se faire avorter.»
On leur offre plutôt «de l’écoute, de la compassion, du soutien moral, de l’appui psychologique, de l’appui légal et médical, de la sécurité».
«Le Centre Magalie veut redonner aux femmes le respect, la dignité et l’autonomie que la société et parfois l’Église leur nient. Au Centre Magalie, Fanm Deside s’occupe de la vie dès sa conception, y compris celle des embryons. Nous nous occupons des enfants que portent les femmes et les fillettes enceintes, peu importe que la grossesse ait été le fruit de la violence ou du viol.»
«L’avortement, qui semble tellement préoccuper la CECC et Développement et Paix, ne fait pas partie de notre univers quotidien», répète la coordonnatrice. «Notre univers, c’est la vie réelle, la vie dont il faut accoucher et qu’il faut défendre dans des conditions difficiles et douloureuses.»
Marie Ange Noël rappelle ensuite que Fanm Deside a été créée en 1989 par des religieuses québécoises membres de l’Institut Notre-Dame du Bon-Conseil de Montréal. L’organisme regroupe aujourd’hui quelque 3000 femmes, venant des milieux populaires, dont de «petites marchandes» et des paysannes.
Développement et Paix appuie cet organisme depuis 2001. «Notre organisation demeure l’une des plus belles manifestations de solidarité de l’Église canadienne avec Haïti.»
«Ce n’est pas la première fois que la CECC et Développement et Paix présument de liens entre Fanm Deside et l’avortement. Nous avons été appelées à l’expliquer à maintes reprises. En vain», déplore Marie Ange Noël. Elle rappelle que même l’assurance par Mgr Marie Éric Glandas Toussaint, actuel évêque de Jacmel, des «bonnes pratiques catholiques» plus tôt cette année n’a visiblement pas suffi.
«Les craintes de la CECC demeurent vivaces, poursuit la coordonnatrice. Elles semblent être plus résistantes que la dureté des faits. La pureté de nos intentions relatives à l’avortement est traquée, mais nos engagements réels fondés sur la solidarité envers les femmes et les pauvres d’Haïti sont ignorés.»
Elle ne s’explique pas pourquoi le personnel de la conférence épiscopale canadienne s’acharne sur son organisme et, plus largement, sur tous les groupes qui œuvrent auprès des femmes.
«Tout appui à la cause des femmes serait-il perçu comme un risque latent de basculement dans les pratiques de l’avortement?», demande-t-elle.
Le directeur général de Développement et Paix, Serge Langlois, n’a pas retourné nos demandes d’entrevue.
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