«Je suis tellement déçu», réagit d’abord sobrement le diacre Jean-Denis Lampron en apprenant que le couperet vient de tomber sur 24 partenaires de Développement et Paix – Caritas Canada. Ces groupes du Sud cesseront d’être financés parce qu’ils n’ont pas respecté l’enseignement moral et social de l’Église catholique, ont annoncé le jeudi 25 février la Conférence des évêques catholiques du Canada ainsi que Développement et Paix.
Le ton qu’emploie l’ex-président du conseil national de Développement et Paix montre qu’il est plus que déçu devant cette décision. En fait, il est plutôt en colère. Il ne croit pas une seconde que des partenaires aient été écartés parce qu’ils ne respectent pas l’enseignement social de l’Église. «Voyons donc. Tout cela ne tient pas la route.» Il pense plutôt que c’est à cause de questions morales que tant de partenaires ont été coupés. «On s’acharne carrément sur des des gens qui peinent à manger à leur faim. On va vérifier s’ils ont leur badge de bonne conduite, s’ils n’ont jamais touché à un condom de leur vie», lance-t-il en haussant le ton.
Jean-Denis Lampron, un homme d’affaires de Drummondville, présidait la Caritas du Canada lorsque des évêques ont déclaré avoir appris que des dizaines de partenaires de l’organisme de solidarité internationale ne faisaient pas «preuve de respect pour le caractère sacré de la vie humaine». Il estime aujourd’hui que c’est cette «obsession des évêques canadiens sur l’avortement» qui a mené à ces condamnations.
Selon lui, il est temps aujourd’hui de dévoiler publiquement ce qu’ont découvert les enquêteurs durant leurs trois années de recherches. «Dans l’évangile de Jean, on dit que celui qui fait la vérité vient à la lumière. Alors pourquoi cacher la vérité? À qui cela sert-il?»
Toujours un membre actif de Développement et Paix dans le diocèse de Nicolet, l’ex-président du conseil national croit qu’en ne rendant pas publique l’intégralité de cette enquête, «on cherche à protéger certaines personnes qui ne veulent pas perdre la face dans toute cette histoire». Qui sont ces personnes? «On peut bien regarder chez Développement et Paix», dit-il. Mais on devrait aussi «regarder du côté des évêques», ceux-là même qui ont lancé ces accusations en 2018.
M. Lampron est certain qu’il y a des évêques «qui réalisent aujourd’hui que toute cette enquête n’a mené nulle part». Sauf à une humiliation publique de Développement et Paix. «Les évêques, plutôt que d’admettre s’être trompés, ont préféré laisser traîner les choses.»
«Tout ce qui traîne se salit», lance le diacre, déçu qu’au début de la nouvelle campagne Carême de partage, la réputation de Développement et Paix et celle de ses nombreux partenaires soient toujours entachées. «Il est temps que des évêques prennent la parole sur la place publique pour dire que Développement et Paix, qu’ils ont fondé, est une organisation extraordinaire.»
Tache indélébile
Fabien Leboeuf, un théologien qui a œuvré durant 25 ans à divers postes au sein de Développement et Paix, a reçu en 2018 le mandat d’examiner chacun des reproches formulés par des employés de la Conférence des évêques catholiques du Canada (CECC) contre 52 partenaires de l’organisme.
Celui qui fut le directeur général de Développement et Paix avait alors répondu à chacun de ces soupçons dans un rapport qui, croit-il, n’aurait jamais été remis aux membres du conseil national de l’organisme. Dans ce volumineux document, Fabien Leboeuf avait déploré que ces allégations avaient été énoncées par le personnel de l’épiscopat canadien «sur la base d’informations en bonne partie erronées et malicieuses», glanées sur le Web auprès de groupes ultra-conservateurs comme LifeSite.
En apprenant que 24 partenariats, sur 63, devront cesser et que 19 autres ne seront pas renouvelés, il se fâche. «Cela n’a aucun sens.» En 2018, il avait reconnu que «trois ou quatre partenaires» devaient fournir plus d’informations. «Mais que 40 partenaires soient coupés ou non renouvelés, c’est clair que c’est de l’inquisition. On ne les brûle pas, mais en supprimant leur financement, on les affaiblit énormément, on les asphyxie.»
Pour lui, dès le début de ce processus d’enquête, les dés étaient pipés. «Il était déjà évident que la CECC allait exiger l’abandon de nombreux partenaires pour des motifs dits éthiques, presque tous liés aux femmes et à la sexualité», dit-il. «Les représentants de la CECC sur le comité d’étude conjoint de l’époque avaient passé jugement avant même que ne débute le procès.»
Selon M. Leboeuf, «le refus de Développement et Paix de publier la liste des partenaires retenus» est inexplicable. «Cet effarant manque de transparence est sans précédent.»
Il estime que Développement et Paix «n’est plus un organisme indépendant» et que ses directeurs rendent aujourd’hui des comptes à la conférence épiscopale plutôt qu’aux membres du conseil d’administration de l’organisme.
«Les directeurs ont délibérément privé le conseil national de prendre des décisions éclairées reposant sur leur libre consentement.» Les membres du conseil national, qui ont adopté le rapport final de l’enquête sur les partenaires en novembre 2020, «n’avaient pas l’information pour prendre des décisions éclairées et libres».
Tout au long de cette enquête, «on a manipulé et mis de côté les personnes responsables de la gouvernance de Développement et Paix», déplore-t-il.
Cette «inquisition» sur des partenaires de longue date de l’organisme «demeurera dans l’histoire une tache indélébile sur l’âme et la conscience dévoyées de l’Église du Canada et de Développement et Paix», assène Fabien Leboeuf, son ex-directeur général.
Invité à commenter ses décisions et à les expliquer, l’organisme Développement et Paix a refusé de préciser ce qui était reproché aux groupes qui verront leur partenariat prendre fin.
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