Le Québec est un peuple à la recherche de son âme. Voilà comment le sociologue, et pèlerin, Michel O’Neill répond à ceux qui, sur le chemin de Compostelle, s’étonnent de compter autant de Québécois sur ce mythique lieu de pèlerinage. Fasciné par le phénomène, le professeur retraité de l’Université Laval s’apprête à publier un livre sur la marche pèlerine au Québec.
La première fois que Michel O’Neill fait le Chemin de Compostelle, il vient d’avoir 50 ans. Dix ans plus tard, il y retourne afin de tirer un trait entre sa carrière et sa vie de retraité. «À mon retour, je me suis demandé comment faire pour maintenir ici l’état de grâce que j’avais vécu là-bas. J’ai eu l’impression que ce que j’avais vécu n’avait pas existé, comme le sillage que laisse un bateau derrière lui ; à un moment, il se referme et il disparaît.»
C’est ainsi qu’il commence à étudier les dix-huit chemins de pèlerinage proposés au Québec. De fil en aiguille, il en vient à concevoir l’idée d’écrire un livre sur la marche pèlerine telle qu’elle se vit dans la Province.
Durant son enquête, le pèlerin cède sa place au sociologue. «Mon œil de sociologue aborde le phénomène sans prendre position. J’analyse les différentes tendances que nous retrouvons dans le monde de la marche pèlerine.»
Pas nécessairement religieux
Michel O’Neill aime bien utiliser l’expression «marche pèlerine» lorsqu’il parle de la marche de longue randonnée qui a un but spirituel, sans nécessairement être religieux. «Si nous disons pèlerinage, automatiquement les gens pensent que c’est religieux. Lorsque l’on parle avec des marcheurs et que nous leur disons qu’ils réalisent un pèlerinage, leurs cheveux se dressent! La dimension religieuse reliée au mot pèlerinage me semblait déplacer la réalité.»
Pour Michel O’Neill, la marche «à la Compostelle» possède trois grandes racines. «La première est le pèlerinage catholique. Pour beaucoup, cela demeure la motivation première. Au Québec, cette racine-là s’est desséchée. Même s’il y a beaucoup de personnes qui réalisent un pèlerinage, ce dernier se fait davantage en autobus, en auto, voire en avion. La deuxième racine est la promotion de la santé. Aujourd’hui, on fait beaucoup la promotion de la santé. Dans ce contexte, la marche est très importante. La troisième racine est la marche de longue randonnée classique comme celle qui se réalise sur le sentier des Appalaches. Pour moi, la marche pèlerine est au confluent de ces trois racines.»
Michel O’Neill remarque que la marche pèlerine se fait dans des conditions qui lui sont propres. «Lorsque des personnes entreprennent une randonnée de longue durée, elles recherchent la nature sauvage. Au contraire, la marche pèlerine se réalise dans les lieux civilisés qui ont des repères généralement religieux. Ces derniers peuvent être utilisés ou non pour faire du sens. Pour plusieurs acteurs du domaine de la marche, mon expression connote bien le phénomène et lui donne sa propre couleur. Elle semble bien rendre les motivations des adeptes de la marche pèlerine.»
Succès auprès des baby-boomers
Durant sa recherche, le sociologue s’est rapidement aperçu que la marche pèlerine est un phénomène social qui prend de l’ampleur. En l’analysant, il s’est rendu compte que la grande majorité des marcheurs sont issus de la génération des baby-boomers. «Parmi eux, nous retrouvons plus de femmes que d’hommes. À Compostelle, c’est presque la parité homme- femme.»
Afin d’expliquer la présence majoritaire de baby-boomers sur les chemins québécois, le sociologue émet une hypothèse. «C’est la génération qui a flushé l’Église catholique avec une vigueur certaine. Ses représentants sont plus proches de la fin que du début de la vie. Ils se posent toutes les questions existentielles qui sont rattachées à cette période. Celles-ci ne trouvent pas les réponses dans le matérialisme ambiant.» La marche pèlerine devient alors un moyen «de se reconnecter avec ses racines chrétiennes tout en gardant une distance critique», selon Michel O’Neil.
Lorsqu’il marchait sur le Chemin de Compostelle, il se faisait souvent demander d’expliquer la raison de la présence en grand nombre de Québécois. «J’ai fini par répondre: « Le Québec est un peuple à la recherche de son âme! »»
Un marché qui se développe
La popularité de la marche pèlerine a donné naissance à un marché en expansion. «À Compostelle, nous retrouvons un gros business. Certains le déplorent, d’autres le saluent. Plusieurs affirment que Compostelle n’est plus vraiment un chemin de pèlerinage. Il y a une tension de plus en plus grande entre ces deux tendances. Lorsque je donne des conférences sur Compostelle, j’affiche l’image de saint Jacques, le fondateur du chemin de Compostelle, et l’image du signe de piasse!»
Selon Michel O’Neill, nous retrouvons les mêmes tendances ici. «L’organisme Bottes et vélo fait dans le spirituel et, à l’autre bout du spectre, nous avons La Tienda qui offre au marcheur l’occasion de réaliser une randonnée sans souffrir des irritants liés à la marche pèlerine. Ils vendent un sac à dos avec tout ce qu’il faut pour cela. Ils ont expérimenté un certain nombre de choses et proposent aux futurs pèlerins ce qu’ils considèrent être le meilleur. Ils sont extrêmement agressifs en termes de marketing. Je crois que cela répond davantage aux besoins de la nouvelle génération qui cherche des forfaits tout compris. La Tienda affirme toutefois que leur offre attire aussi beaucoup de baby-boomers.»
Le sociologue ne prend pas position dans ce débat. «À chacun son chemin! Il n’y a pas nécessairement de bonnes ou de mauvaises manières de faire le chemin. On peut le faire pour différentes raisons. Il n’appartient pas davantage aux personnes qui désirent maintenir l’esprit classique du chemin qu’à ceux qui cultivent un esprit d’entreprise autour du pèlerinage. Ce qui est clair, c’est qu’il y a un marché de la marche pèlerine. Ce marché-là, nous en sommes plus conscients maintenant au Québec, car nous nous rendons compte que cela va au-delà du pèlerinage au sens religieux du terme.»
Correction au nom de l’expert apportée à 18 h 20 le 11 août 2016.