«Les femmes judiciarisées, et particulièrement les femmes qui sont incarcérées, sont isolées. Elles ont peu de moyens pour faire entendre leurs voix et faire connaître leurs conditions d’incarcération.»
Quand elle a lu, dans Le Devoir, qu’une congrégation religieuse avait dénoncé auprès du ministre de la Sécurité publique les conditions d’incarcération de femmes détenues dans les établissements québécois, Ruth Gagnon ne pouvait qu’hocher la tête en guise d’approbation. La directrice générale de la Société Elizabeth Fry du Québec ne cache pas aujourd’hui sa satisfaction devant le fait que plus de quinze communautés religieuses ont, depuis, imité le geste de l’Institut Notre-Dame du Bon-Conseil de Montréal.
«Obtenir un tel appui de la part de tant de communautés religieuses, c’est très positif. Cela envoie un message aux femmes incarcérées qu’elles ne sont pas une quantité négligeable. Des personnes aussi respectables que des religieuses prennent position sur des décisions gouvernementales qui les affectent.»
«C’est vraiment un appui important», dit la dirigeante de la Société Elizabeth Fry, un organisme qui offre des services aux femmes qui ont des démêlés avec la justice. «Je suis convaincue que les lettres des communautés religieuses ont un impact.»
Transfert
Il y a un mois, la religieuse Lorette Langlais, ex-générale de l’Institut Notre-Dame du Bon-Conseil de Montréal, acheminait une lettre au ministre Martin Coiteux où elle déplorait le sort des «prisonnières qui ont été déménagées de la prison Tanguay à Montréal vers l’Établissement de détention Leclerc à Laval sans une préparation adéquate et sans tenir compte de leurs droits fondamentaux».
Déjà, certains médias ont évoqué ce transfert et fait part de l’insalubrité des lieux, de la proximité avec des prisonniers masculins et du manque de vêtements adéquats pour les détenues. Ce sont ces informations qui ont incité sœur Langlais à rédiger cette lettre au ministre de la Sécurité publique.
«Cette déplorable situation illustre bien la campagne d’austérité menée par votre gouvernement, par des décisions qui atteignent les plus vulnérables de notre société. Diminuer les services, vous le savez, risque de nuire à la santé et à la réhabilitation des personnes incarcérées», écrivait-elle au ministre. «Il serait préférable de tenir compte des besoins spécifiques de la clientèle féminine pour mieux adapter les méthodes d’intervention.»
La lettre de Lorette Langlais a fait la une du quotidien Le Devoir le 28 avril. Le journal mentionnait alors que la religieuse n’avait toujours pas reçu d’accusé de réception de la part du ministre.
«Votre gouvernement a pris, en septembre dernier, une décision administrative aux conséquences déplorables», déplorait, dès le lendemain, l’Association des religieuses pour les droits des femmes (ARDF).
«Vous avez opéré un changement aux conséquences concrètes sur le quotidien des détenues. Des témoins directs manifestent les carences criantes de ces lieux qui auraient dû minimalement être adaptés à la population qui y a été transférée. Plus que tout, la situation nous indigne en raison du mépris de la dignité et des droits légitimes des femmes ainsi bafouées», écrit la secrétaire de l’ARDF, la religieuse Céline Beaulieu, dans une lettre remise elle aussi au ministre Coiteux.
«Alors que les centres de détention ont pour mission de procéder à la réhabilitation et de préparer la réinsertion sociale des personnes qui y purgent des peines, les conditions auxquelles elles sont soumises sont de nature à les détériorer physiquement et psychologiquement», déplore la religieuse membre de la Congrégation de Notre-Dame.
Nouvelle lettre
Le 2 mai, quinze communautés, instituts et ordres membres de la famille franciscaine ont signé une lettre commune au ministre de la Sécurité publique.
«Au nom de la dignité de chaque personne, quel que soit son statut, nous vous demandons d’intervenir rapidement afin d’améliorer sérieusement les conditions de vie des femmes incarcérées à l’Établissement de détention de Leclerc. Il nous semble que la gestion de tout centre de détention de votre juridiction devrait s’inspirer des considérants de la Charte des droits et libertés de la personne», écrit le regroupement formé notamment de moniales clarisses, de frères capucins et de missionnaires franciscaines.
Vérification faite, un mois après avoir envoyé sa lettre au ministre Coiteux, Lorette Langlais n’a pas encore reçu de réponse formelle. Le lendemain de la mention de sa lettre à la une du Devoir, elle a toutefois reçu un accusé de réception du ministère de la Sécurité publique.
Mais Ruth Gagnon est certaine que le ministre répondra aux demandes des communautés religieuses. «Je serais bien étonnée qu’il ne le fasse pas», dit-elle, saluant de nouveau cette prise de parole publique. «Que des représentants de la société civile se manifestent, c’est un signe que la cause des femmes incarcérées leur tient à cœur. C’est rare que leur situation suscite de l’indignation et qu’elle soit médiatisée.»
«Les communautés ont lancé un message social important», dit la directrice générale de la Société Elizabeth Fry, qui a appris depuis que d’autres communauté religieuses ont aussi écrit au ministre Coiteux à ce sujet, sans rendre leurs lettres publiques.
L’organisme qu’elle dirige tire son nom d’Elizabeth Fry, une Quaker d’Angleterre qui a travaillé, au XIXe siècle, à humaniser les conditions d’incarcération dans les prisons où échouaient de nombreuses femmes pauvres.
Le ministère de la Sécurité publique n’a pas donné suite à nos demandes d’entrevue.