Malgré une baisse de la criminalité en général au Canada, les crimes haineux déclarés à la police ont fait un bond en 2020. Une tendance qui pourrait poursuivre sur sa lancée en raison d’une confluence de facteurs sociaux liés à l’actualité et la pandémie.
Seul un garçon de 9 ans a survécu à l’attaque, avec des blessures graves. Le 8 juin, un homme a foncé avec son véhicule sur une famille musulmane dans la ville ontarienne de London, fauchant la vie de 4 personnes dans le pire attentat du genre au pays depuis l’attentat de la mosquée de Québec en 2017. Le drame n’est pourtant pas un événement isolé : les crimes haineux comme celui-ci ont augmenté en 2020 selon Statistiques Canada.
Le crime haineux constitue une infraction au Code criminel qui est « motivé par des préjugés ou de la haine fondés sur des facteurs tels que la race, l’origine nationale ou ethnique, la langue, la couleur, la religion, le sexe, l’âge, la déficience mentale ou physique ou l’orientation sexuelle de la victime », précise le Service de police de la Ville de Montréal. On parle « d’incident haineux » lorsqu’il n’y a pas de crime. Au Canada, la majorité des crimes haineux sont des méfaits ; les agressions physiques sont plus rares.
Alors qu’ils ne dépassaient pas les 1400 cas déclarés au pays entre 2014 et 2016, les crimes haineux déclarés à la police ont augmenté à plus de 2000 cas en 2017. En 2020, ils ont bondi de 37%, atteignant 2669 cas, soit près du double du taux de crimes répertorié quatre ans plus tôt. Ceux ciblant l’origine ethnique ont presque doublé comparativement aux années précédentes, tandis que ceux visant la religion ont enregistré un recul. Les crimes haineux continuent toutefois d’inquiéter les communautés musulmanes et juives du pays.
Au cours des derniers mois, plusieurs femmes musulmanes portant le voile ont été agressées à Edmonton et Hamilton, en Ontario. En septembre dernier, un musulman a été poignardé à mort alors qu’il faisait du bénévolat dans une mosquée de Toronto. En avril, un homme a déchargé un fusil à air comprimé sur la façade d’une mosquée dans le quartier de Rosemont à Montréal.
En mai, les organisations juives Fédération CJA et CIJA se disaient alarmées par le pic d’incidents antisémites à Montréal, soulignant le recours décomplexé à des slogans et des insultes antisémites et le jet de pierres lors de manifestations, le vandalisme du consulat israélien, les insultes antisémites lancées dans des quartiers juifs et de la prolifération de discours haineux en ligne.
Crises sociales et théories du complot
« Récemment, il y a eu une vague d’incidents antisémites à Montréal liée à la crise à Gaza au printemps et au discours antisémite associé aux théories du complot autour de la pandémie », observe aussi Louis Audet Gosselin, directeur scientifique et stratégique du Centre de prévention de la radicalisation menant à la violence (CPRMV). Ce dernier explique que les crimes haineux ont tendance à augmenter drastiquement dans des contextes de débats publics très polarisés. « Il y a quelques années, lorsque la place de la laïcité et du voile était plus présente en politique et dans les médias au Québec, on a vu une vague d’incidents haineux qui touchaient les communautés musulmanes, et c’est allé jusqu’à un attentat à la mosquée de Québec. »
« Il y a l’ignorance, les fausses informations sur la nature des religions, les théories du complot. Avec la pandémie, il y a aussi des tensions, de l’isolement social, une perte de repères, de l’inquiétude et de la peur. Certains discours ont cherché des boucs émissaires à la pandémie », ajoute-t-il en énumérant les nombreux ingrédients possibles pour créer un terreau fertile à la haine. Les juifs et les Asiatiques ont été particulièrement ciblés depuis le début de la pandémie, note-t-il.
Les théories du complot et les idéologies basées sur l’exclusion sont notamment portées par des groupes d’extrême droite, qui sont moins marginalisés et plus organisés depuis 2014-2015 selon Louis Audet Gosselin. Certains éléments de leurs idéologies liés à la migration et l’islam ont aussi été repris dans l’arène politique.
La pointe de l’iceberg ?
Les crimes haineux pourraient-ils connaître une nouvelle recrudescence en cette deuxième année de pandémie ? À Montréal, le nombre de crimes haineux dans les six premiers mois de 2021 a déjà dépassé le même type de crimes signalés l’année précédente, selon les chiffres transmis par le Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) au quotidien La Presse. S’agit-il d’une augmentation réelle de la violence ou d’une augmentation du nombre de plaintes ? Difficile à déterminer, soupire Louis Audet Gosselin, qui souligne toutefois que la plupart des victimes déclarent rarement ce type d’incidents à la police.
Les chiffres dévoilés par Statistiques Canada constituent probablement la pointe de l’iceberg, selon Fo Niemi, directeur général du Centre de recherche-action sur les relations raciales (CRARR). « Peu de gens donnent suite à leur plainte, parce qu’ils pensent que c’est trop long, que c’est inutile de dénoncer, qu’ils n’ont pas confiance en la police ou qu’ils auront plus de problèmes qu’avant », observe ce dernier. Seuls 10% des cas d’agressions sexuelles sont déclarés à la police, donne-t-il comme exemple. Le directeur du CRARR observe aussi une augmentation des discours haineux en ligne au cours des dernières années. « Ce ne sont pas tous les services de police qui ont tous les moyens de bien recevoir et documenter les crimes haineux, » ajoute celui qui prône une meilleure formation des policiers et des procureurs à l’égard des crimes haineux.
En juillet, le gouvernement fédéral a lancé des sommets nationaux sur l’islamophobie et l’antisémitisme visant à identifier des moyens concrets pour lutter contre les crimes haineux. Le Conseil national des musulmans canadiens (CNMC) a proposé 61 recommandations, dont la publication d’une stratégie fédérale de lutte contre l’islamophobie d’ici la fin de l’année et un resserrement de la surveillance des groupes de suprématie blanche. Dans le cadre des sommets, Ottawa a notamment annoncé l’investissement de 6 millions de dollars dans 150 projets pour soutenir des communautés vulnérables.