L’ex-religieuse Marie Labrecque, la fondatrice de l’école Rosalie-Jetté, cette institution qui accueille toujours à Montréal des adolescentes enceintes ou de jeunes mères qui veulent poursuivre leurs études secondaires, est décédée ce jeudi matin, le 10 juin 2021. Elle était âgée de 100 ans.
Le théologien Jean-Guy Nadeau a visité son amie Marie Labrecque il y a quelques jours à peine. «On se connaît depuis près de 50 ans. Elle était encore religieuse lorsque je l’ai rencontrée la première fois», raconte le professeur aujourd’hui retraité et l’auteur du récent Une profonde blessure, le livre québécois de référence sur les abus sexuels dans l’Église catholique.
«Je considère Marie Labrecque comme ma mère spirituelle. Si on dit aujourd’hui que je suis à l’écoute des personnes, c’est bien grâce à elle», reconnaît-il. Et surtout grâce à ce qu’il a vécu à ses côtés, dans les années 1970, rue Saint-Denis, à Montréal. «C’était au 4095», précise Jean-Guy Nadeau, sans aucune hésitation.
«Elle était toujours religieuse à ce moment mais elle avait quitté la maison de sa communauté pour avoir cet appartement où elle accueillait les femmes prostituées. Elle m’avait invitée à me joindre à son équipe d’accueil». Il a rédigé sa thèse de doctorat à partir de cet engagement.» Le titre de sa thèse? La prostitution, une affaire de sens (Fides).
«Chez Marie – c’était aussi le nom de cette résidence -, le mot d’ordre était: « ici on ne pose pas de questions ».» On écoute plutôt les personnes qui s’y présentent. Un jour, le jeune théologien demande aux femmes rassemblées pour une messe: «Pâques, vous y croyez?» Il se souvient encore de la réponse obtenue: «Pâques, on y croit, mais c’est pour les autres, ce n’est pas pour nous.»
«Ma vie de professeur, je la dois à cette réponse», obtenue auprès de Marie Labrecque qui «m’a appris à écouter, à être présent et à ne pas fuir» afin que Pâques soit enfin significatif «pour le plus grand nombre de personnes».
Avant d’ouvrir cette maison d’accueil inconditionnel pour les femmes prostituées, Marie Labrecque avait fondé le centre et l’école Rosalie-Jetté, du nom de la fondatrice des Sœurs de la Miséricorde, la congrégation dont elle fut membre durant plus de 30 ans.
«Si on parle de mères célibataires aujourd’hui plutôt que de filles-mères, on le doit certainement à Marie Labrecque.» Elle n’en pouvait plus de voir ces jeunes filles être rejetées et même, après leur accouchement, être privées de leur enfant qui serait donné en adoption. «Pour elle, ce n’était pas admissible qu’une mère soit séparée de son enfant», dit Jean-Guy Nadeau.
Il raconte que des femmes qu’elle avait connues à Rosalie-Jetté venaient encore la saluer, quelques fois avec leurs propres enfants. Bien que devenue sourde, ces rencontres la rendaient toujours «tellement heureuse». Autonome, c’est un peu avant le début de la pandémie qu’elle a fait une chute. Depuis avril 2020, elle vivait au CHSLD Mgr-Coderre, à Saint-Lambert.
L’école Marie-Labrecque
«J’ai eu le très grand plaisir de rencontrer Marie», dit l’auteure et scénariste Danielle Trottier. Elle venait lui demander la permission d’utiliser son nom dans la nouvelle série télévisée qu’elle préparait. Les jeunes filles de Toute la vie ne pouvaient que séjourner à l’école Marie-Labrecque, lui a-t-elle annoncé.
Ce jour-là, l’auteure en est aujourd’hui convaincue, elle a rencontré «une des grandes féministes du Québec».
«Dès la fin des années 1950, elle était déjà multi diplômée, en arts, en lettres et en sciences sociales, ce qui n’était pas si fréquent à l’époque», fait-elle observer.
«Elle aurait pu avoir une carrière bien confortable, mais ce n’est pas ce qu’elle a choisi. Marie a choisi d’aller sur le terrain, d’aller vers les jeunes femmes enceintes. En créant l’école Rosalie-Jetté avec une compagne, elle est responsable d’une grande innovation sociale.»
«Elle a aussi travaillé avec les prostituées, avec les analphabètes», ajoute-t-elle, déplorant qu’elle ait eu «un parcours exceptionnel dont on n’a pas assez entendu parler».
En donnant son nom à l’école que fréquentaient les jeunes actrices de Toute la vie, Danielle Trottier a voulu rendre hommage à une femme «exceptionnelle, mais d’une grande humilité» qu’elle n’a pas revue, regrette-t-elle, tout le temps de la pandémie.
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