«Le Saint-Père serait certainement fier de moi. Il nous encourage fortement à aller aux périphéries», a lancé, tout sourire, le cardinal Gérald Lacroix aux 300 personnes, en majorité des gens d’affaires, réunies dans cette grande salle d’un hôtel du centre-ville de Montréal.
Vendredi, l’archevêque de Québec prononçait l’allocution principale lors du Déjeuner fraternité et prière.
«On m’a demandé de parler de moi.» La formule de ces rendez-vous annuels, aussi appelés Déjeuners de la prière, est de privilégier les témoignages personnels plutôt que l’écoute de conférences ou de discours. «Je préfère parler des autres plutôt que de moi», a-t-il précisé. «Mais voyez cela comme une occasion de découvrir comment le Dieu qui m’habite est un Dieu fidèle, toujours à nos côtés.»
Appuyé par une série de diapositives, le cardinal a donc résumé, en quarante-cinq minutes, les moments-clés de sa vie. Il est né à Saint-Hilaire-de-Dorset, un village de Beauce qui compte 101 habitants. «C’est la seule municipalité québécoise qui peut dire que 1% de sa population occupe la fonction de cardinal», a-t-il blagué.
Des complications majeures ont surgi lors de l’accouchement de l’aîné de la famille Lacroix, il y a 58 ans. «Je dois beaucoup à un docteur de la nation huronne, Léon Gros-Louis. Il m’a sauvé la vie. J’ai une dette de reconnaissance envers les peuples des Premières Nations.»
Quelques années plus tard, la famille s’est installée en Nouvelle-Angleterre, où le père du futur cardinal a trouvé un travail. C’est là que ses parents sont devenus membres de La Rencontre, un mouvement fondé par l’oblat Henri Roy, promoteur au Québec de la Jeunesse ouvrière catholique. L’expérience fut déterminante pour le jeune Gérald. «Chaque semaine, papa et maman étaient invités à partager la Parole de Dieu et à fraterniser avec d’autres personnes. Mon père qui savait à peine lire et écrire a commencé, avec maman, à lire des textes de l’Évangile. J’ai vu mes parents se transformer», dit le cardinal qui, aujourd’hui encore, partage des textes bibliques au début de chaque rencontre avec tous ses collaborateurs.
Le travail en Colombie
Revenu au Québec à l’adolescence, il devint graphiste et travailla dans le monde de l’édition. «En 1981, je demande à mon patron un congé sans solde de six mois pour aller en Colombie.» Gérald Lacroix accompagnera un infirmier laïc, membre comme lui de l’Institut séculier Pie X.
«Un jour, arrive un jeune père de famille. Son enfant est très malade.» Il demanda à ce que l’infirmier aille voir son bébé, resté dans la montagne avec la mère. C’est Gérald Lacroix qui fut chargé d’évaluer les soins requis. «J’arrive dans cette maison abandonnée où ce couple est de passage. Je découvre un petit enfant, enveloppé dans des guenilles. Un bel enfant. Mais mal en point. J’essaie de convaincre les parents de l’emmener à l’hôpital». Ils ne veulent pas car ils y ont déjà une dette. On leur refusera l’entrée, estiment-ils.
Le couple demande alors à Gérald Lacroix de baptiser leur enfant. Il court vers la paroisse la plus proche pour demander un prêtre. Il n’est pas disponible. Il court vers une seconde paroisse où le prêtre est aussi absent. «C’est une urgence, alors baptisez-le vous-même», enjoint la secrétaire qui l’accueille. «Elle m’explique comment faire», raconte celui qui deviendra archevêque de Québec. «J’y retourne et je baptise Henri, le nom que les parents avaient choisi». Le baptême de cet enfant allait le bouleverser et même décider de sa vocation. Il sera ordonné prêtre, en 1988, «afin de devenir père d’une grande famille».
Le nouveau prêtre retourna en Colombie, puis devint curé d’une paroisse et professeur au séminaire. En 1998, il revint au Québec et fut nommé responsable général de l’Institut séculier Pie X. Puis, vint l’appel du nonce apostolique au Canada. Le pape le veut comme évêque auxiliaire. «Dites au pape que je suis un prêtre très heureux», répond-il. «Alors vous serez un évêque heureux.» C’est lui qui succéda au cardinal Marc Ouellet à la tête de l’archidiocèse de Québec. En 2014, il devint cardinal à son tour. Des responsabilités qui n’ont jamais ébranlé sa conviction: il faut se préoccuper d’abord des personnes. «Quand on a une personne devant nous, on laisse tomber les agendas, on en prend soin», conseille-t-il aux participants du Déjeuner fraternité et prière.
Le petit Henri
«Mais Henri, le petit Henri que vous avez baptisé, qu’est-ce qu’il est devenu?», a demandé un participant au micro, tout de suite après que le cardinal ait terminé son témoignage.
«Le lendemain de son baptême, tôt le matin, je suis retourné dans la montagne, bien décidé à l’emmener à l’hôpital, coûte que coûte», a-t-il répondu. «Mais la petite maison était vide.»
«Je n’ai jamais revu Henri ou ses parents. Jamais. Il aurait aujourd’hui 31 ans, Je ne sais pas où il est ou ce qu’il est devenu. Mais je sais qu’on l’a mis entre les mains d’un Dieu qui prend soin de lui, où qu’il se trouve.»
Cherchant des yeux celui qui l’avait interrogé sur le sort du jeune enfant, il a alors répété, la voix brisée: «Jamais. Je ne l’ai jamais revu».