Les recommandations d’un nouveau rapport commandé par la Conférence des évêques catholiques du Canada (CECC) à la firme Deloitte viennent témoigner des relations difficiles entre la conférence épiscopale et l’organisme Développement et Paix, membre canadien de Caritas Internationalis, durement critiqué depuis deux ans par une poignée d’évêques.
Afin d’«améliorer la façon dont Développement et Paix travaille avec la CECC», l’organisme de développement international devra réduire la taille de son conseil d’administration, augmenter le nombre de rencontres auxquelles sont convoqués ses dirigeants bénévoles et «adapter la composition du conseil national de Développement et Paix pour assurer la représentation désirée par la CECC».
Développement et Paix devra aussi se doter d’une «politique de confidentialité», assurer de meilleures communications avec tous les évêques du pays et mettre en place une structure plus efficace lors de crises.
Les critères qui permettent à Développement et Paix d’appuyer ou non des partenaires dans les pays du Sud seront «actualisés, clarifiés et priorisés». Enfin, un comité des partenariats devra être mis sur pied au sein du conseil national de Développement et Paix, la plus haute instance décisionnelle de l’organisme.
Voilà quelques-unes des recommandations – il y en a 14 – qui font partie du rapport final de l’examen organisationnel sur Développement et Paix commandé en mai 2019 par la CECC à la firme de consultants Deloitte. Dans différents diocèses du Canada, des évêques rencontrent actuellement des membres de Développement et Paix afin de leur présenter les recommandations de ce rapport.
À la plénière des évêques
Dans un communiqué déposé dans son site Web le vendredi 18 octobre, la conférence épiscopale a révélé que «le rapport final concernant le diagnostic (examen) organisationnel» de Développement et Paix ainsi qu’une série de recommandations ont été «présentés aux bureaux de direction» des deux organismes (la CECC et Développement et Paix) il y a un mois.
Cette rencontre d’information, animée par le cabinet Deloitte, s’est tenue en soirée le mardi 24 septembre à Cornwall, en Ontario. Aucun document écrit ne fut remis aux participants lors de cette présentation verbale. La rencontre a duré deux heures, a-t-on appris. Aucun média n’avait le droit d’y assister.
«Après cette présentation, les évêques en séance plénière ont reçu, discuté et accepté le rapport et ses recommandations», indique le communiqué de la CECC. Rappelons que l’assemblée plénière annuelle des évêques de tout le Canada s’est tenue à Cornwall du 23 au 27 septembre 2019.
Réaction de Développement et Paix
Comment Développement et Paix réagit-il aux recommandations formulées par la firme de consultation engagée par la conférence épiscopale? Le directeur général adjoint de Développement et Paix, Romain Duguay, semble bien embêté de répondre à cette question. C’est qu’il n’a pas reçu le rapport final du cabinet Deloitte. «Et personne à l’intérieur de Développement et Paix ne l’a», assure-t-il en entrevue téléphonique.
Il doute même que le rapport complet soit un jour rendu public et remis aux médias, aux membres ainsi qu’aux donateurs de Développement et Paix. «Ce rapport appartient à la CECC», dit-il. C’est la conférence épiscopale qui a versé l’intégralité des sommes requises par la firme de consultants pour cet examen organisationnel.
L’agence de presse Présence a demandé à la direction des communications de la CECC un exemplaire du document approuvé par les évêques lors de leur assemblée plénière. La conférence épiscopale n’avait pas répondu à cette demande au moment de publier ces lignes.
La CECC assure, dans son communiqué, que les membres du conseil national de Développement et Paix auront néanmoins la possibilité d’examiner «les résultats et les recommandations du rapport, en plus de recevoir la décision et les attentes de la CECC concernant le plan d’action et son application». Cet examen sera fait lors de la prochaine rencontre du conseil national de l’organisme qui se déroulera à Montréal du 29 novembre au 1er décembre.
«On s’attend à ce qu’un ou deux évêques participent à cette rencontre et nous présentent les recommandations du rapport Deloitte», indique Romain Duguay. «Après, les membres vont entrer dans une session in camera [à huis clos] et vont vouloir parler librement entre eux.»
Le communiqué de presse de la CECC révèle aussi que les évêques «ont décidé d’entrer dans une période de réflexion, qui inclura des discussions et des consultations avec les membres locaux de Développement et Paix dans leurs diocèses et leurs éparchies».
De telles rencontres ont déjà eu lieu un peu partout au Canada, a appris l’agence de presse Présence. D’autres rencontres se tiendront aussi dans les prochains jours.
Lors d’une de ces rencontres, l’évêque a remis aux dirigeants diocésains de Développement et Paix un tableau identifiant «six thèmes pour dresser le portrait d’une situation visée désirable pour améliorer la façon dont Développement et Paix travaille avec la CECC».
On souhaite notamment qu’à l’avenir «la gouvernance de Développement et Paix [soit] mature et efficace, [soutienne] la réalisation de la mission et implique la CECC». Le rapport souhaite de plus que Développement et Paix «utilise des critères clairs et consensuels pour sélectionner et renouveler des partenariats» dans les différents pays où l’organisme finance des programmes de développement.
Suivent alors 14 recommandations – résumées au début de ce texte – toutes liées à la structure de Développement et Paix, aux critères de sélection de ses partenaires, à la reddition de compte, à des mécanismes de communication avec les évêques, à la gestion de crise et à la culture de l’organisme.
Les auteurs du rapport ont pris la peine de préciser que «la plupart de ces recommandations sont interdépendantes» et que «la situation visée ne pourra être atteinte que si les recommandations sont mises en œuvre les unes avec les autres».
Tous les changements proposés par les 14 recommandations qui circulent actuellement doivent être faits du côté de Développement et Paix. Autrement dit, ils laissent entendre que c’est l’organisme qui doit s’ajuster à ce qui convient à la conférence épiscopale, et non l’inverse: aucune recommandation n’appelle à un changement structurel ou administratif au niveau de la CECC.
L’autre enquête
Aucune des recommandations ne traite des 52 partenaires de Développement et Paix soupçonnés par des évêques canadiens de ne pas respecter l’enseignement social et moral de l’Église catholique. Le communiqué de la CECC publié en fin de journée le 18 octobre ne mentionne aucunement cette autre enquête dont le rapport final aurait aussi été soumis aux évêques en septembre 2019.
Lancée à l’automne 2017, ce n’est qu’en avril 2018 que le public a appris le déclenchement de cette première enquête. L’archevêque d’Edmonton, Mgr Richard Smith, avait alors déclaré que «les évêques canadiens ont été informés des résultats préliminaires d’un examen» de l’ensemble des partenaires financés par Développement et Paix.
«Les premiers résultats qu’on nous a communiqués sont alarmants», avait indiqué Mgr Smith, ajoutant que «quelque quarante partenaires semblent montrer des signes de conflit avec l’enseignement moral et social catholique. En particulier, ils ne font pas preuve de respect pour le caractère sacré de la vie humaine.»
Quelques mois plus tard, Développement et Paix avait indiqué que 52 – et non pas 40 – partenaires ne seraient plus financés par les sommes recueillies auprès des catholiques du Canada durant le carême tant que cette enquête ne serait pas complétée.
En septembre 2019, la direction des communications de la CECC avait indiqué à l’agence de presse Présence que «la CECC et Développement et Paix ont conclu une entente qui veut que le rapport soit soumis à l’assemblée plénière de la CECC et au conseil national de Développement et Paix».
«Une entrevue avec le président de la CECC sur cette question serait prématurée avant que la CECC et Développement et Paix ne fassent une annonce éventuelle sur la mise en œuvre possible d’un plan d’action», avait aussi répondu Lisa Gall, la coordonnatrice des communications de la CECC, à la demande d’un journaliste qui voulait s’entretenir avec Mgr Lionel Gendron, président sortant de la conférence épiscopale.
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