Le silence qui entoure depuis deux ans les discussions entre Développement et Paix et la Conférence des évêques catholiques du Canada (CECC), notamment sur les groupes financés dans les pays du Sud, commence à peser lourd sur des membres de l’organisme de solidarité internationale. À l’apprôche du carême, plusieurs ont manifesté leur frustration, tandis que la direction garde le cap.
«À Développement et Paix, nous sommes confrontés à des événements difficiles qui nous concernent toutes et tous, mais sur lesquels nous n’avons aucune emprise réelle faute d’une information exacte, claire, suffisante et communiquée à temps», ont déploré le 17 février 2020 les neufs membres de l’exécutif de Développement et Paix dans l’archidiocèse de Sherbrooke.
Dans une lettre acheminée à tous les membres du Conseil national de Développement et Paix, la plus haute instance de l’organisme, les signataires regrettent qu’«habituellement les renseignements [leur] parviennent goutte à goutte». Ils mentionnent qu’ils «en apprennent parfois davantage par des groupes extérieurs» sur les enjeux auxquels est confronté l’organisme où certains d’entre eux militent bénévolement depuis plus de vingt ans.
Les membres ont été «tenus dans l’ignorance» lorsque des évêques de l’Ouest canadien ont pris la décision de retenir les sommes récoltées auprès des catholiques durant la campagne Carême de partage de 2018. Ils déplorent aussi n’avoir reçu que peu de renseignements sur «le moratoire imposé à 52 partenaires» en novembre 2018 et sur «façon dont a été réalisée l’analyse organisationnelle de Développement et Paix», commandée par la CECC et dont les résultats complets n’ont toujours pas été rendus publics.
«Comment alors avoir l’heure juste? Comment nous situer au cœur de tout cela? Comment apporter une contribution positive?», demande l’exécutif diocésain de Sherbrooke.
«Nous sommes la base constitutive de Développement et Paix», rappellent les signataires dans cette lettre publiée une semaine avant le début de Carême de partage, la campagne annuelle de financement de l’organisme. «Comment cette base peut-elle demeurer intéressée, motivée et active si elle est tenue dans l’ignorance? Comment expliquer ce mutisme à Développement et Paix?»
Une des signataires de cette lettre est la théologienne Yvonne Bergeron. Actuelle coprésidente de l’exécutif diocésain, la religieuse a déjà été membre du Conseil national de Développement et Paix. Elle observe que les membres qu’elle côtoie dans l’archidiocèse de Sherbrooke sont «affectés par cette absence d’informations».
«On sait bien qu’on ne peut pas tout négocier sur la place publique. Mais les membres devraient recevoir des informations suffisantes afin de se faire une tête, de réagir et de prendre sur eux une partie des décisions qui vont rebondir ensuite au Conseil national. Quand on n’est pas suffisamment informés, comment peut-on proposer, de manière efficace et lucide, des changements?», demande-t-elle.
Membre depuis longtemps et aussi signataire de la lettre diocésaine, Jean Brochu explique qu’«en se professionnalisant, Développement et Paix s’est coupé tranquillement de sa base, de ses membres. Il faut revenir à la dynamique des débuts alors que les membres faisaient partie d’un mouvement de militance.»
«Sinon, c’est l’asphyxie», prévient-il.
«Développement et Paix est un mouvement démocratique», rappelle René Desmarais, lui aussi un vétéran de la solidarité internationale en Estrie. «On participe à des assemblées provinciales. Chaque année, on vote des propositions, notamment sur la question de la transparence de l’organisme. On souhaite que les dirigeants du mouvement en tiennent compte. Mais visiblement, ça ne passe pas, on ne nous entend pas», confie-t-il en entrevue téléphonique.
Respect de la confidentialité du processus
Invitée à commenter le fait que des membres se plaignent du mutisme des dirigeants, Evelyne Beaudoin, la présidente du Conseil national de Développement et Paix, explique que l’organisme a choisi de «respecter la confidentialité durant le processus de recherche et de discussion qui a été entamé au début de l’enquête sur les 52 partenaires».
«Par respect pour nos partenaires ainsi que pour le processus, nous continuerons de respecter» cette confidentialité, a-t-elle répondu.
«Nous poursuivons les discussions sur les résultats du diagnostic organisationnel avec le Bureau de direction de la CECC et là encore, le dialogue respectueux et continu permettra la continuation du travail entamé.»
Elle révèle toutefois que le dialogue sur les 52 partenaires du Sud soupçonnés de ne pas respecter l’enseignement moral et social de l’Église catholique «se termine» et qu’«un communiqué de presse conjoint sera émis au moment propice», sans indiquer s’il sera publié durant la campagne Carême de partage qui débute aujourd’hui, mercredi des Cendres.
Par ailleurs, elle ajoute qu’en ce qui concerne «les aspects du travail de Développement et Paix, qui est énorme quand on examine les projets et les résultats obtenus ici au Canada ainsi que dans les pays du Sud», les dirigeants «communiquent régulièrement avec les conseils diocésains qui, eux, communiquent avec les membres».
Alors qu’est lancée la campagne de financement annuelle de l’organisme, la présidente du Conseil national a tenu à rendre hommage aux membres qui sont «le battement de cœur de Développement et Paix».
«Ils n’ont jamais cessé le travail quotidien que leur engagement les appelle à effectuer. La campagne Carême de partage est pour eux un point culminant dans la programmation vécue dans nos paroisses. On les remercie pour ce dévouement extraordinaire car ce sont eux qui font fleurir notre mission de l’option préférentielle pour les pauvres», dit Evelyne Beaudoin.
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