Avec dignité, Boufeldja Benabdallah a décrit la peine qui afflige la communauté musulmane de Québec. Avec émotion, il a rendu hommage à ses amis tombés sous les balles dans l’attentat de dimanche à la grande mosquée de Québec. Avec conviction, il a redit son attachement au Québec.
L’intervention de M. Benabdallah a constitué le moment fort de la messe célébrée mardi soir à l’église Notre-Dame-de-Foy en solidarité avec les victimes et la communauté musulmane de Québec. L’église était bondée et des gens devaient se tenir debout à l’arrière. Outre l’archevêque de Québec, le cardinal Gérald Lacroix, et ses deux auxiliaires, Mgrs Louis Corriveau et Marc Pelchat, diverses communautés de foi étaient représentées. Plusieurs musulmans assistaient à la célébration. De nombreuses personnalités politiques prenaient part à l’événement, dont le premier ministre du Québec, Philippe Couillard.
«Vous êtes tous mes amis. Et on dit dans notre religion: vous aimez quelqu’un, il faut le lui dire. Alors je vous aime», a commencé le cofondateur du Centre culturel islamique de Québec sous un tonnerre d’applaudissements. L’homme qui est arrivé ici dans les années 1960 a salué un Québec qui lui a «tendu la main».
«Vous êtes un peuple de bien, sachez-le! Prenez-le avec bonheur! Vous êtes un peuple de bien, je vous assure. Nous, en tant que musulmans, on pense connaître beaucoup de choses, mais on a appris énormément de choses du peuple québécois: la résilience, le recul devant l’adversité, le pardon à l’autre, respecter l’autre tout doucement», a dit M. Benabdallah.
Partager la douleur des familles
Il a parlé des blessés, qui se relèvent difficilement de l’attentat, en pensant à ce que se disent leurs enfants.
«Mais ils vont voir leur papa chagriné, et ils vont se demander [pourquoi]. Imaginez ce qu’il va leur dire. Est-ce que c’est le Québec qui l’a frappé? Non, ce n’est pas le Québec, c’est un être humain. Qui s’est trompé. Qui ne devait pas faire ça. Je peux vous assurer, et je le sais, je connais la bonté de nos cœurs, de l’humain, ils vont dire à leurs enfants: cette personne nous a tués, mais il s’est trompé», a indiqué M. Benabdallah.
Puis, il a évoqué la réalité des enfants des familles endeuillées.
«Ils vont appeler «Papa, Papa». Mais quand ils ne vont pas voir leur papa… Ils ne vont plus le voir», a-t-il confié, réprimant quelques sanglots. «Ça va être très, très dur. C’est la douleur que je ressens pour eux et que je vous exprime. Alors permettez-moi de ne pas oublier.»
M. Benabdallah a ensuite pris le temps de présenter chaque homme dont la vie a été volée dimanche – Azzeddine Soufiane, Aboubaker Thabti, Ibrahima Barry, Abdelkrim Hassane, Khaled Belkacemi, Mamadou Tanou Barry – évoquant le sourire de l’un, les rêves de l’autre.
«Aujourd’hui par votre présence je serai le porteur et l’ambassadeur de vos paroles et de vos prières à toutes ces familles qui n’ont plus leur parent», a-t-il poursuivi. «Hier, les doutes que j’avais sur la xénophobie, l’islamophobie, bien aujourd’hui je sais par votre présence et par tout ce qu’on a fait depuis quelques jours: on peut effacer cette islamophobie, on peut effacer cette xénophobie, on peut effacer ce sémitisme, on peut effacer ce racisme de couleur, cette aliénation des gens qui n’ont pas les moyens. On peut tout effacer par quoi? Par ce que vous avez chanté tout à l’heure: l’amour que Dieu a mis en nous-même.»
Deux membres de la communauté musulmane de Québec l’ont rejoint au micro pour lire une sourate du Coran.
Le cardinal Gérald Lacroix, qui présidait la célébration, a ensuite expliqué qu’il souhaitait lui offrir un cadeau qu’il avait lui-même reçu du pape la veille: une accolade. Les deux hommes se sont alors pris dans leurs bras, concrétisant par ce geste une solidarité maintes fois exprimée.
Le grand chef de la Nation huronne-wendate, Konrad Sioui, a remis une tresse d’herbes sacrées à M. Benabdallah, l’assurant de son soutien et de sa confiance pour l’avenir.
Ambiance de recueillement
Tout au long de la célébration, l’assemblée partageait avec sobriété les émotions exprimées par les intervenants successifs. Si les sanglots de M. Benabdallah ont trouvé plusieurs échos dans l’assemblée, quelques chants ont plus tard réussi à en faire sourire plusieurs par leur entrain et leur message d’amour. Le passage de l’Évangile du jour – celui où, selon saint Marc, Jésus réveille une petite fille que l’on disait décédée et guérit une femme – semblait choisi expressément pour l’occasion. Il a été écouté attentivement.
Dans son homélie, le cardinal Lacroix a rappelé que suivre Jésus «nous conduit sur des chemins de vie».
«Une épreuve comme celle que nous vivons actuellement nous ébranle et nous questionne, bien sûr, nous fait très mal, mais peut aussi être l’occasion de décider avec encore plus de courage, de nous engager encore davantage au service de la vie, de la fraternité, de la solidarité, d’un vivre-ensemble où il y a de la place pour tout le monde», a proposé l’archevêque de Québec.
Selon lui, chacun doit faire un effort pour «être du côté de la paix et de la justice», que ce soit dans sa famille, au travail, à l’école, sur les réseaux sociaux ou dans les médias.
«Des hommes et des femmes de dialogue: c’est ce que nous sommes appelés à être. Empreints de respect et de vérité. Comme Jésus, soyons attentifs aux besoins des personnes que nous côtoyons. Apprenons à les connaître et à faire route avec elles. Nous avons beaucoup à gagner à nous écouter, à nous rencontrer, à vivre ensemble. Nous sommes faits pour nous enrichir, et nous le ferons en apprenant à nous aimer.»
L’archidiocèse de Québec a filmé la célébration, que l’on peut revoir ici.