Le Réseau des Forums André-Naud, lieu de réflexion progressiste et de contestation intra-ecclésiale, n’est plus. Depuis la dissolution du Forum André-Naud (FAN) de Longueuil, avalisée le 19 mars, il ne subsiste désormais que le forum de Trois-Rivières et Nicolet.
«Les personnes qui en ont fait partie ont vieilli. Le renouvellement ne s’est pas fait, surtout depuis quelques années», laisse tomber l’abbé Lucien Lemieux, historien et ancien professeur à la Faculté de théologie de l’Université de Montréal.
L’abbé Lemieux agissait comme secrétaire initial du groupe de dix-neuf prêtres en provenance de cinq diocèses qui ont publié dans La Presse le 26 février 2006 une lettre de contestation destinée à l’épiscopat québécois. Dans leur missive, ils s’opposaient à deux documents qui, selon eux, manquaient d’ouverture envers les personnes homosexuelles. Il s’agissait du Mémoire de la Conférence des évêques catholiques du Canada du 18 mai 2005 déposé au comité législatif du gouvernement canadien, chargé de l’étude du projet de loi C-38 portant sur la Loi sur le mariage civil, et l’Instruction du 4 novembre 2005 de la Congrégation pour l’éducation catholique, au Vatican.
«Aucune porte n’était ouverte aux couples homosexuels dans le premier document ni aux homosexuels aspirant au ministère presbytéral dans le second», fait valoir l’abbé Lemieux.
Un réseau provincial
Cette sortie publique est devenue le point de départ des Forums André-Naud pour treize des dix-neuf signataires. Adoptant le nom d’un théologien de l’Université de Montréal décédé en 2002 et connu pour ses positions critiques, André Naud, ils voulaient «promouvoir la liberté de pensée et d’expression en Église», axée sur une pensée éclairée, une parole libre et une présentation «pertinente et crédible» du message chrétien pour la culture québécoise.
Un réseau regroupant les FAN de Nicolet, Joliette, Saint-Jérôme, Gatineau-Hull, Montréal, Saint-Jean-Longueuil a vu le jour en 2007. Dans ses meilleures années, le Réseau comptait environ 150 personnes.
L’une de ses interventions-phares demeure son Manifeste pour une Église dans le monde de ce temps adopté en 2012 et signé par 1600 personnes. Celui-ci appelait à l’autonomie de l’être humain et l’importance de sa conscience, à l’égalité des femmes et des hommes, à la décentralisation de l’institution ecclésiale catholique romaine, à une plus grande liberté des évêques vis-à-vis du Vatican et à une plus grande implication de toutes les personnes baptisées au sein de l’institution.
Aux yeux de l’abbé Lemieux, la fin du Réseau n’est pas vraiment une surprise. Les membres en parlaient depuis au moins trois ans.
«Quand le pape François a été élu, ça a diminué notre ardeur.»
«Les membres actifs des forums locaux, incluant depuis longtemps des personnes autres que des agentes et des agents de pastorale, sont en grande partie septuagénaires. Le recrutement est inexistant. Les activités locales, au début prédominantes et diversifiées, se raréfient. Les forums de Joliette, de Saint-Jérôme, de Gatineau-Hull se disloquent en quelque sorte» à partir de 2016, précise-t-il dans un texte bilan. Le FAN de Montréal a quant à lui cessé ses activités en novembre 2018.
«Je ne pense pas que ce soit un échec, analyse le prêtre historien. C’est sûr qu’il y avait un dynamisme qu’on ne retrouve peut-être pas chez les générations suivantes, car la nôtre était très marquée par Vatican II et son progressisme. Il y avait une centralisation vaticane qui nous écœurait. Quand le pape François a été élu, ça a diminué notre ardeur. Nous avons moins senti le besoin d’intervenir. Comme si ce que nous avions promu était en train de se réaliser un peu.»
Reflet d’une dissidence
Lucien Lemieux estime qu’il est difficile de dire quelle a été l’influence réelle de ces groupes. «Je ne peux pas calculer ce que fait l’Esprit saint. Ça a fait son temps, ça a été bénéfique, et ça a été révélateur d’une certaine dissidence au Québec.»
Il confie que le Vatican avait mal réagi à leur lettre en 2006 et que des pressions avaient été exercées sur les évêques québécois pour que les signataires soient interdits de ministère.
Selon l’abbé Lemieux, «les évêques du Québec ont dit au Vatican: énervez-vous pas, les 19 signataires, c’est nos meilleurs, on est capable de s’en occuper».
Chaque évêque a décidé de rencontrer personnellement les signataires. «À Longueuil, nous étions quatre prêtres. Mgr Jacques Berthelet, que je connaissais bien, était quasiment gêné de me rencontrer. Je l’ai laissé parler. Puis au bout de 5 minutes, j’ai dit: ‘Est-ce que c’est fini?’ ‘Oui.’ ‘Ok salut.’» Lemieux dit que Mgr Berthelet n’a pas cherché à pousser les remontrances plus loin, même s’il continuait à faire des célébrations communautaires du pardon avec une absolution collective.
«Actuellement, les gens qui sont en Église sont tellement fermés sur eux-mêmes.»
Sans jouer au devin, il se demande ce qu’il adviendra d’une forme de dissidence au sein du catholicisme québécois. «Actuellement, les gens qui sont en Église sont tellement fermés sur eux-mêmes. Ils n’écrivent pas et ne se prononcent pas sur les choses qui pourraient être améliorées. On dirait une gang de peureux», dit-il.
«Je ne vois pas beaucoup de dirigeants ecclésiastiques qui prennent la parole publiquement. Ils n’ont pas de leadership en société actuellement. Certes, l’Église ne dépend pas juste des évêques, mais quand on a des dirigeants dociles, joyeux, sociables et relationnels, ça ne fait pas du monde audacieux. Alors les autres suivent», déplore-t-il.
Il croit que les changements nécessaires pour endiguer certains problèmes au sein du catholicisme romain, dont le cléricalisme, devront émaner des baptisés, «de la base».
Manque de relève
André Gadbois a été coordonnateur du Réseau pendant un peu plus de dix ans. Il a quitté en 2017 pour des raisons de santé. Cet ancien prêtre ordonné lors de l’Expo 67 s’est marié et a eu deux enfants. Il est cependant toujours resté actif au sein de sa communauté chrétienne locale.
«Ça m’a fait de la peine. Ça m’a pris des mois avant d’accepter que j’avais réellement quitté», confie-t-il.
Ces dernières années, plusieurs membres des FAN se demandaient à quoi servait le réseau. «On est une gang de vieux vétérans. Tranquillement, ça se disait. C’étaient devenus des groupes de partage, et pas d’action. C’était agréable, pas méchant, mais ça avait ses limites», explique-t-il.
«C’étaient devenus des groupes de partage, et pas d’action.»
Ce qui le désole surtout, c’est que des penseurs aux idées progressistes ont fini par s’éloigner de l’Église, voire de la quitter.
C’est François Lemieux qui a pris la relève de M. Gadbois. Cet ancien président de la Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal qui a travaillé «dans le monde de la Direction de la protection de la jeunesse (DPJ)» affirme que «comme catholique, [il] était conscien[t] qu’il y a de gros changements à opérer dans l’institution».
«L’Église est aux soins palliatifs», dit-il. Cela aurait dû mener à une réorganisation du Réseau des FAN, mais l’âge avancé des membres et le manque de relève rendaient le tout très difficile.
«Cela ne semble pas attirer des plus jeunes. On commence à frapper des générations qui n’ont pas conscience de ce que la foi et l’Église peuvent signifier comme importance et pertinence», observe-t-il.
Le dernier forum
Mais les FAN n’ont pas encore dit leur dernier mot. Le groupe qui couvre le territoire des diocèses de Trois-Rivières et de Nicolet entend poursuivre ses activités pour l’instant. Ce groupe s’est d’ailleurs doté d’un plan de réflexion en dix-neuf points qui comprend des thèmes aussi variés que la jeunesse, l’aide médicale à mourir, l’accueil des immigrants, la laïcité et l’islam.
«À Trois-Rivières et Nicolet, nous avons encore des choses à nous dire et à accomplir, déclare Daniel Roy, membre de ce FAN depuis plus de six ans. On est encore habités par un désir de partager entre nous et d’exercer une liberté de parole. C’est à peu près le seul lieu où on peut librement et intensément approfondir des sujets avec une perspective un peu progressiste.»
Le désir de perdurer témoigne d’après lui d’une volonté de «libérer la parole». Pour cet ancien professeur d’enseignement religieux, le défi de «faire avancer les choses sans vouloir s’agripper à ce qui existait» demeure d’actualité malgré la disparition du Réseau.
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