«Estomaqué.» Telle fut la première réaction de Mgr Serge Poitras lorsqu’il a appris le matin du 15 février que son ancien collègue, Mgr Luigi Ventura, est visé par une enquête pour agression sexuelle à Paris.
Les deux hommes ont travaillé ensemble pendant huit ans à la nonciature apostolique, à Ottawa: Luigi Ventura comme nonce et Serge Poitras comme secrétaire.
Aujourd’hui âgé de 74 ans, Mgr Ventura agit comme diplomate pour le Saint-Siège depuis vingt-quatre ans. Il a été nommé nonce apostolique au Burkina Faso, en Côte d’Ivoire et au Niger en 1995. Après un séjour de deux ans comme nonce au Chili (1999-2001), il devint nonce au Canada. Il occupa ce poste jusqu’à ce que Rome lui confie la nonciature apostolique à Paris en 2009, un poste prestigieux qui a notamment déjà été occupé par Giuseppe Roncalli, celui qui allait devenir Jean XXIII.
«Je n’en reviens pas», lance Mgr Poitras, aujourd’hui évêque de Timmins, en Ontario. «Je n’ai absolument jamais rien vu qui était déplacé. En huit ans, jamais jamais jamais.»
Il dit avoir écrit le jour même à Mgr Ventura: «Non ci credo», c’est-à-dire «je n’y crois pas».
Mgr Poitras trouverait curieux qu’un homme à un an de la retraite brise sa carrière ainsi en posant des gestes déplacés dans un endroit public. «J’ai ben de la misère à croire ça», laisse-t-il tomber.
Il rappelle que Mgr Ventura a récemment dû combattre une maladie qui l’a obligé à suspendre ses activités diplomatiques pendant plusieurs semaines. Mgr Poitras est passé le saluer pour la dernière fois en 2017. Il avait alors trouvé un homme affaibli par la maladie, qui ne parvenait pas à se remettre à lire. «Il a été malade au niveau de la tête. A-t-il été affecté?», demande-t-il, se gardant toutefois d’en tirer des conclusions.
«Au Canada, s’il y a quelqu’un qui est apprécié, c’est Mgr Ventura! Il était très aimé de tout le monde. J’ai hâte de voir les conclusions de cette enquête», ajoute Mgr Poitras.
Aucune plainte au Canada
L’actuel nonce apostolique au Canada, Mgr Luigi Bonazzi, a appris la nouvelle le matin même, en arrivant au bureau.
«Pour moi c’est difficile à croire», dit-il.
Il indique que la nonciature apostolique à Ottawa n’a jamais reçu de plainte de nature sexuelle visant Mgr Ventura. «Absolument aucune plainte, non.»
Au contraire, à l’instar de Mgr Poitras, il dresse plutôt le portrait d’un homme estimé par ses collaborateurs et au sein de l’Église canadienne.
«Les commentaires sur sa personne étaient toujours respectueux, amicaux. Il a laissé l’image d’une personne qui, disons, est pleine de sollicitude. Qui s’intéressait. Qui vivait au service de cette Église», précise Mgr Bonazzi. «C’est une personne de nature très spontanée, très amicale.»
Selon lui, les allégations d’attouchements ne cadrent pas avec ce qu’il connait de lui.
Il précise par ailleurs que lorsque de telles allégations surviennent, les nonciatures doivent observer les règles des pays où elles se trouvent. Quant à savoir si un nonce visé par une enquête doit immédiatement se retirer de ses fonctions, il préfère ne pas se prononcer pour l’instant.
Réagissant aux commentaires de certains catholiques qui se demandaient en apprenant que le nonce à Paris était visé par une enquête s’il ne pouvait pas s’agir d’une forme de vengeance visant l’Église, il a rétorqué qu’il a reçu comme formation «de faire confiance aux personnes».
«On porte sur les autres un regard de confiance et de respect. Si on sort de cette attitude, on se met dans des circuits sinueux qui ne font du bien à personne», dit-il.
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