Le 12 janvier, un panel de personnalités catholiques américaines s’est réuni à Washington afin de préciser de quelle manière les fidèles devraient interagir avec l’administration de Donald Trump. Plusieurs de ces panélistes affirment être encore hantés par les propos tenus par le président-élu lors de la campagne électorale et plus tôt dans sa carrière. Ils se questionnent sur la suite des choses. Comment composer avec l’administration Trump?
«Lorsque Donald Trump tient des propos [dégradants] sur les femmes, je dois admettre que cela me donne la nausée», a affirmé Mgr John Enzler, le président des Catholic Charities de l’archidiocèse de Washington. «Nous devons malgré tout écouter ce qu’il a à nous dire, et tâcher de trouver une voie médiane, un terrain d’entente avec lui.»
Mais d’autres catholiques présents à la rencontre n’ont pas caché leur enthousiasme. C’est notamment le cas de Francis Rooney, un élu républicain de la Floride et qui siégera à la Chambre des représentants.
«Il est permis d’espérer qu’il protégera la vie conformément à nos attentes […] en coupant les vivres à [l’organisme pro-choix] Planned Parenthood, ou encore en s’assurant que les mandats des assureurs soient conformes au premier amendement de la Constitution», s’est réjoui Rooney.
L’élu floridien faisait allusion aux clauses de l’Obamacare (Affordable Care Act) qui exigent de la quasi-totalité des employeurs, dont plusieurs institutions catholiques, d’offrir à leurs employés une assurance couvrant les coûts liés à l’achat de contraceptifs. Obligation qui a provoqué l’ire de certains catholiques américains ces dernières années.
Reprendre les déportations
Certains panélistes n’ont cependant pas caché leur inquiétude. Ce fut notamment le cas de Jessica Chilin Hernandez, chargée de projets au Kalmanovitz Initiative for Labor and the Working Poor de l’Université Georgetown. Mme Hernandez a elle-même bénéficié d’une mesure, prise par Barack Obama en 2012, permettant aux enfants d’immigrants clandestins d’obtenir un permis de travail et d’échapper ainsi à une déportation.
Jessica Hernandez est l’une des 750 000 enfants d’immigrants à avoir bénéficié de cette mesure. Or, au cours de la campagne électorale, Donald Trump a laissé entendre qu’il renverserait cette décision et qu’il reprendrait des déportations de masse d’immigrants clandestins. Lorsque la victoire de Donald Trump fut confirmée, Mme Hernandez «a ressenti une angoisse comme [elle] n’en avait jamais ressentie de toute [sa] vie», a-t-elle confié. «Cette peur était viscérale. Une seule pensée occupait alors mon esprit: les services de sécurité connaissent mon adresse. Je n’ai plus le moindre avenir dans ce pays en 2017.»
Doctrine sociale de l’Église
Aux yeux de Joan Rosenhauer, vice-présidente exécutive des Catholic Relief Services pour le territoire des États-Unis, l’heure est sans doute venue de rappeler les principes qui guident l’Église catholique lorsqu’elle aborde les enjeux de justice sociale. Principes, ajoute-t-elle, qui s’opposent aux clivages sociaux et qui rejettent l’idée voulant que les immigrants soient des ennemis ou qu’ils constituent un fardeau pour la société.
«Nous devons nous tenir debout et défendre ces principes», a affirmé Rosenhauer. Or, a-t-elle ajouté, «nous faisons face à un problème de taille, puisque bon nombre de nos coreligionnaires catholiques ne connaissent pas ces principes».
Aux yeux de sœur Simone Campbell, directrice générale de Network, un groupe de pression sur les enjeux de justice sociale, les États-Unis sont présentement gangrénés par la peur, le chaos et par un grand nombre de malaises et de dysfonctions.
«L’heure est venue de nous lever et de tendre la main aux étrangers, aux travailleurs pauvres, et à quiconque sollicite notre aide ou fait appel à notre bonté», a-t-elle avancé.
Le rôle des individus
Aux yeux de Mgr Enzler, les catholiques doivent faire leur part en faisant preuve de bienveillance à l’égard d’autrui. Et en faisant fréquemment leur examen de conscience: «Qu’ai-je fait aujourd’hui pour mon prochain? N’oublions pas que ce ne sont pas les services sociaux et les œuvres de charité qui rendent le monde meilleur mais avant tout des individus.»
Jessica Chilin Hernandez a invité à porter une attention particulière au vocabulaire employé. «Les mots que nous utilisons ont une grande importance», a-t-elle dit. Fréquemment utilisé pour désigner les immigrants clandestins, «le terme ‘illégal’ est enrobé d’une connotation raciste», a-t-elle rappelé. À ses yeux, «aucun être humain ne vient au monde dans l’illégalité». Cela dit, «c’est ce terme qu’on utilise pour décrire [les immigrants] dans certains cercles».
Selon John Carr, les catholiques américains doivent se questionner sur la façon dont ils doivent s’y prendre pour bâtir des ponts et tisser des liens avec leurs concitoyens, dans «un pays divisé et en colère comme le leur». Directeur de Initiative on Catholic Social Thought and Public Life de l’Université Georgetown, Carr reconnaît que plusieurs Américains ont développé une mentalité d’assiégés.
«Il sera important de voir le rôle que joueront les catholiques face aux clivages qui sont apparus dans la société américaine au cours de la dernière année», a poursuivi Joan Rosenhauer.
Les catholiques américains doivent avoir le courage de défendre les valeurs qui leurs sont chères, même lorsqu’elles sont à contre-courant. «Nous devons cependant défendre ces valeurs en faisant preuve de bienveillance à l’égard d’autrui», a-t-elle ajouté.
Rhina Guidos, Catholic News Service