Professer la foi en Dieu en tant que créateur de tous les êtres humains, ou même simplement reconnaître que toutes les personnes possèdent une dignité inhérente, a des conséquences concrètes sur la façon dont les gens doivent se traiter les uns les autres et prendre des décisions en politique, en économie et dans la vie sociale, a écrit le pape François.
«Que tout être humain possède une dignité inaliénable est une vérité qui correspond à la nature humaine indépendamment de tout changement culturel. C’est pourquoi l’être humain a la même dignité inviolable en toute époque de l’histoire et personne ne peut se sentir autorisé par les circonstances à nier cette conviction ou à ne pas agir en conséquence», a écrit le pape dans son encyclique Fratelli tutti, sur la fraternité et l’amitié sociale.
Le pape François a signé l’encyclique le 3 octobre après avoir célébré la messe sur la tombe de saint François d’Assise, et le Vatican a publié le lendemain le texte de plus de 40 000 mots.
La rumeur voulait que le pape écrive une encyclique sur la non-violence. Dans le contexte de pandémie de COVID-19, beaucoup s’attendaient à un document explorant en profondeur ses appels répétés au monde pour qu’il reconnaisse les inégalités et les injustices mises à nu par la pandémie et adopte des politiques économiques, politiques et sociales correctives.
Fratelli tutti combine ces deux éléments mais le fait dans le cadre fixé par le document sur la fraternité humaine et le dialogue interreligieux que lui et le cheikh Ahmed el-Tayeb, grand imam de la mosquée al-Azhar au Caire, en Égypte, ont signé en 2019.
En fait, dans ce nouveau document, le pape François a écrit qu’il était «encouragé» par son dialogue avec le dirigeant musulman et par leur déclaration commune selon laquelle «Dieu a créé tous les êtres humains égaux en droits, devoirs et dignité, et les a appelés à vivre ensemble comme des frères et sœurs».
L’encyclique fait référence à saint François d’Assise et s’inspire de son «ouverture fraternelle» qui, selon le pape, appelle les gens à «reconnaître, apprécier et aimer chaque personne, quelle que soit sa proximité physique, quel que soit son lieu de naissance ou de résidence».
Le titre, qui signifie littéralement «tous frères», sont les mots avec lesquels saint François «s’est adressé à ses frères et sœurs et leur a proposé un mode de vie marqué par la saveur de l’Évangile», a écrit le pape.
Cette saveur, expliquée tout au long du document, implique d’accueillir l’étranger, de nourrir l’affamé, d’écouter et de donner un coup de main aux pauvres, de défendre les droits de tous et de veiller à ce que chaque personne, à chaque étape de la vie, soit valorisée et invitée à contribuer à la communauté, a-t-il dit. Cela signifie également soutenir les politiques publiques qui le font à plus grande échelle.
S’appuyant sur les enseignements sociaux de ses prédécesseurs, le document du pape François condamne une fois de plus fermement la peine de mort et fait une première approche en déclarant que les conditions utilisées autrefois pour accepter une «guerre juste» n’existent plus en raison de la puissance meurtrière aveugle des armes modernes.
Jean-Paul II, dans L’Évangile de la vie, publié en 1995, a jeté le doute sur la nécessité pour une nation de recourir à la peine capitale aujourd’hui pour protéger son peuple. Développant cet enseignement, le pape François a autorisé en 2018 une modification du Catéchisme de l’Église catholique pour préciser que «la peine de mort est inadmissible».
Signalant le début d’un effort similaire pour répondre à la réalité actuelle de la guerre, le pape François, dans la nouvelle encyclique, a écrit que «le problème, c’est que depuis le développement des armes nucléaires, chimiques ou biologiques, sans oublier les possibilités énormes et croissantes qu’offrent les nouvelles technologies, la guerre a acquis un pouvoir destructif incontrôlé qui affecte beaucoup de victimes civiles innocentes».
«Nous ne pouvons donc plus penser à la guerre comme une solution, du fait que les risques seront probablement toujours plus grands que l’utilité hypothétique qu’on lui attribue. Face à cette réalité, il est très difficile aujourd’hui de défendre les critères rationnels, mûris en d’autres temps, pour parler d’une possible “guerre juste”. Jamais plus la guerre !»
Au cœur de l’appel de la nouvelle encyclique aux catholiques se trouve une méditation sur la parabole du bon Samaritain de Jésus et en particulier sur la façon dont Jésus prend la question d’un juriste, «Qui est mon prochain», et la transforme en une leçon sur le fait d’être appelé non pas à identifier son prochain mais à devenir un voisin pour tous, en particulier pour ceux qui ont le plus besoin d’aide.
«Cette parabole est une icône éclairante, capable de mettre en évidence l’option de base que nous devons faire pour reconstruire ce monde qui nous fait mal. Face à tant de douleur, face à tant de blessures, la seule issue, c’est d’être comme le bon Samaritain.»
«La parabole, dit-il, nous montre par quelles initiatives une communauté peut être reconstruite grâce à des hommes et des femmes qui s’approprient la fragilité des autres, qui ne permettent pas qu’émerge une société d’exclusion mais qui se font proches et relèvent puis réhabilitent celui qui est à terre, pour que le bien soit commun.»
Le pape François a utilisé l’encyclique pour examiner certaines tendances dans notre monde qui entravent le «développement de la fraternité universelle» et agir en voisin les uns des autres, notamment le racisme, l’extrémisme, le nationalisme agressif, la fermeture des frontières aux migrants et aux réfugiés, la polarisation, la politique comme une prise de pouvoir plutôt que comme un service au bien commun, le mauvais traitement des femmes, l’esclavage moderne et les politiques économiques qui permettent aux riches de s’enrichir mais ne créent pas d’emplois et n’aident pas les pauvres.
La douleur, l’incertitude et la peur, et la prise de conscience de nos propres limites, provoquées par la pandémie n’ont fait que rendre plus urgent de repenser nos styles de vie, nos relations, l’organisation de nos sociétés et, surtout, le sens de notre existence, a-t-il déclaré.
Anna Rowlands, une théologienne britannique invitée à participer à la présentation du document au Vatican, a déclaré à l’agence Catholic News Service que le fil d’Ariane du texte consiste à discerner ce qui donne la vie et aide chacun à développer son plein potentiel et à s’épanouir.
«Tout le thème du document concerne la manière dont nous sommes appelés à nous occuper du monde comme le Christ s’est occupé du monde», en prêtant attention à la réalité plutôt que de «l’éviter», et en priant pour la grâce de répondre comme Jésus le ferait.
Lorsque les gens demandent «Qui est mon voisin?», ils veulent souvent savoir «Qui n’est pas mon voisin?» ou «Qui puis-je légitimement dire que ce n’est pas ma responsabilité?», a déclaré Rowlands.
Le pape François a souhaité des catéchèses et des prédications qui «parlent plus directement et plus clairement du sens social de l’existence, de la dimension fraternelle de la spiritualité, de notre conviction de la dignité inaliénable de chaque personne et de nos raisons d’aimer et d’accepter tous nos frères et sœurs».
Il a également utilisé l’encyclique pour réaffirmer avec force un principe traditionnel de l’enseignement social catholique : «l’usage commun des biens créés», qui affirme que «Dieu a donné la terre à l’ensemble du genre humain pour la subsistance de tous ses membres, sans exclure ni favoriser personne».
Le droit à la propriété privée, et les bénéfices que les individus et la société tirent de la protection de ce droit, a écrit le pape François, ne peuvent être considérés que comme un droit naturel secondaire.
«Le droit de certains à la liberté d’entreprise ou de marché ne peut se trouver au-dessus des droits des peuples et de la dignité des pauvres, pas plus qu’au-dessus du respect de l’environnement», écrit-il encore, ajoutant que le commerce devrait toujours être clairement orienté vers le développement des autres et l’élimination de la pauvreté, notamment par la création d’emplois.
Selon Rowlands, le pape «veut réhabiliter cette idée d’amitié sociale et de paix sociale face à une violence sociale omniprésente, qu’il voit passer par l’économie, [et] de plus en plus par la politique, par les médias sociaux».
Le pape n’est pas désespéré, a-t-elle dit, mais réaliste. «Il veut offrir une vision de la façon dont vous partez des réalités les plus locales, les plus quotidiennes et les plus concrètes pour construire une culture de la paix à tous les niveaux.»
D’après Cindy Wooden
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