«Finalement! Le document est enfin publié, c’est sa version finale.»
Archevêque d’Halifax-Yarmouth, Mgr Anthony Mancini, travaille depuis 2011 à mettre à jour les normes de protection des personnes mineures auxquelles seront soumis tous les évêques canadiens.
À Cornwall, le jeudi 27 septembre 2018, il a présenté, dans une séance à huis-clos, un guide – «qui doit bien faire plus de 150 pages», dit-il – sur la mise en place des mesures de protection des mineurs et la prévention des abus sexuels dans l’Église catholique. Ces lignes directrices traitent de la gestion des allégations faites à l’encontre de membres du clergé ainsi que de la guérison de ceux et celles qui ont été abusés par des prêtres et des religieux.
Le document «est d’abord présenté aux évêques pour qu’ils puissent le recevoir officiellement», a-t-il indiqué lundi, au premier jour de l’assemblée plénière de la Conférence des évêques catholiques du Canada (CECC). «On verra ensuite pour l’implantation dans chaque diocèse», ajoute-t-il. «Les évêques vont prendre quelques jours avant de lancer ces lignes directrices dans leurs diocèses respectifs.»
Après De la souffrance à l’espérance
Vingt ans avant que Mgr Mancini n’hérite de la présidence du Comité ad hoc sur la protection des personnes mineures, les évêques canadiens avaient publié un rapport intitulé De la souffrance à l’espérance, entièrement consacré aux agressions sexuelles commises par des prêtres. Au lendemain du scandale de l’orphelinat Mount Cashel de St. John’s à Terre-Neuve, alors que des membres et d’ex-membres de la congrégation des Christian Brothers ont été reconnus coupables d’agressions sexuelles et de sévices physiques contre des enfants qui leur étaient confiés, les évêques entendaient «proposer des voies et moyens aussi bien pour éliminer dans l’Église les séquelles de scandales passés que pour prévenir de nouveaux cas d’agressions contre des enfants».
Le nouveau guide présenté le jeudi 27 septembre comprend trois parties, a confié Mgr Mancini.
«On trouve une réflexion théologique et pastorale sur l’expérience vécue depuis vingt-cinq ans. Qu’est-ce qu’on a appris, quelles sont les leçons clés depuis les premières révélations et depuis De la souffrance à l’espérance? À partir de chacune de ces leçons, on a formulé des recommandations. Il me semble qu’il y en a 69.»
Suivra une section dite canonique. «Ce sont des lignes directrices qui vont inclure toutes les nouvelles dispositions venues de Rome.» Mgr Mancini mentionne des décision prises par le pape Benoît XVI dans certaines affaires qui concernent des évêques ainsi qu’un document de la Congrégation pour la doctrine de la foi concernant les accusations d’abus sexuels. «Ce sont des procédures – des guidelines, dit Mgr Mancini – qui vont aider les évêques à adapter les procédures diocésaines déjà mises en place.
La troisième partie du guide sera composées de références. La Lettre au peuple de Dieu que le pape François a publiée le lundi 20 août sera insérée dans cette section. Le pape réagissait au contenu du rapport du procureur de Pennsylvanie sur les abus sexuels commis par des prêtres dans six diocèses de cet État américain.
Les victimes
Heureux d’avoir enfin terminé la rédaction de ces lignes directrices qui porteront le titre de Protection des personnes mineures contre les abus sexuels: Appel aux fidèles catholiques du Canada pour la guérison, la réconciliation et la transformation, Mgr Mancini confie que l’on a trop souvent oublié les victimes lorsqu’on discute des abus sexuels dans l’Église.
«Les victimes, c’est pourtant ce qui est le plus important.» Depuis qu’il est archevêque d’Halifax-Yarmouth, l’écoute des victimes et la question des abus sexuels commis par des membres du clergé ont été «les dimensions de mon ministère qui ont occupé la majeure partie de mon temps».
«Une victime que j’ai rencontrée était un homme âgé. Il avait été abusé en 1944, un an avant que je vienne au monde. Je l’ai écouté avec attention. Un moment, je lui ai demandé: « Qu’attendez-vous de moi? ». Il m’a répondu: « Vous n’avez rien à m’apporter. Mais écoutez-moi ».»
«La première leçon que j’ai apprise, c’est l’importance d’écouter les victimes. Et de ne pas penser que ce qu’elles racontent, c’est faux. Il faut recevoir la victime comme elle est. Il faut écouter son histoire. Et y croire.»
«Quand on écoute, on peut faire la différence entre ce qui est vrai et ce qui est faux. Et, croyez-moi, j’ai entendu beaucoup, beaucoup, de vraies histoires», dit Mgr Mancini.
L’archevêque d’Halifax-Yarmouth l’admet volontiers. La réaction spontanée des autorités de l’Église catholique devant les récits des victimes, «c’était la protection de l’institution et de son image».
«Je l’ai vécu. Et cela existe encore», reconnaît-il. «J’espère que ce document va changer les choses.»
Le nouveau guide sur la protection des personnes mineures «veut donner une direction aux évêques», dit Mgr Anthony Mancini. «Si des évêques ne suivent pas cet esprit nouveau, ils le feront à leurs propres risques.»
Témoignages
Au début de l’assemblée plénière de la Conférence des évêques catholiques du Canada, Mgr Lionel Gendron, son président, a annoncé que les évêques «entendron[t] cette semaine des témoignages concernant les abus sexuels». Présence a aussitôt demandé des précisions sur cette annonce. Des victimes seraient-elles conviées à Cornwall, lieu de la rencontre épiscopale? Combien seraient-elles? La réponse est arrivée trois jours plus tard: «Afin de respecter la vie privée des victimes d’abus sexuels, avec égards, nous ne pouvons pas fournir des détails à ce moment-ci sur les participants au-delà de leur volonté de partager leurs expériences avec les évêques du Canada».
Le jeudi 27 septembre 2018, en fin de soirée, le Service des communications de la CECC s’est ravisé et a précisé que «les évêques ont écouté le témoignage émouvant d’une victime d’abus sexuels par le clergé et celui d’un évêque qui s’est engagé dans une démarche de guérison et de justice avec les victimes d’abus dans son diocèse».
Le communiqué officiel indique aussi que le guide rédigé par le Comité ad hoc sur la protection des personnes mineures a été adopté. Les évêques «ont convenu à l’unanimité d’accepter le document et de s’engager à l’appliquer dans leurs diocèses ou leurs éparchies».
La présence des médias n’est permise aux assemblées plénières de la CECC qu’en de courts moments, soit habituellement la première journée de la rencontre et la moitié de la seconde. Comme ce fut le cas en 2015, 2016 et 2017, seuls deux journalistes étaient présents cette année à cette rencontre. Les médias n’étaient pas admis lors des discussions entourant ce nouveau document.