D’importantes saisies de vin de messe ont eu lieu dans diverses villes du Québec le vendredi 9 avril. Conséquence? Il est présentement impossible d’acheter une bouteille de ce produit spécialisé au Québec.
Ce jour-là, les policiers se sont présentés chez Bertrand, Foucher, Bélanger Inc., à Montréal, la Procure Ecclésiastique, à Québec, et Chandelles Tradition MB inc., à Saint-Constant. Ils ont saisi plusieurs dizaines de caisses de vin de messe.
«Effectivement, on a saisi des caisses de vin suite à une enquête», explique Sandra Dion, porte-parole du Service de police de la Ville de Québec. Le vin saisi contreviendrait aux articles 83 et 107 de la LIMBA, c’est-à-dire la Loi sur les infractions en matière de boissons alcooliques, concernant la possession et la revente.
«Les policiers du Service de police de la Ville de Montréal se sont présentés avec un mandat», confirme Alain Denis, directeur général chez Bertrand, Foucher, Bélanger Inc.. «Ils ont demandé si on avait le produit. Ils étaient super professionnels. Ils ont un travail à faire et ils l’exécutent.»
Chez Chandelles Tradition MB inc., nous n’avons pas été en mesure de parler à une personne autorisée à commenter le dossier.
Le vin de messe disponible au Québec provient de deux fabricants californiens: Mont La Salle et Cribari, qui offrent chacun une variété de produits. La Société des alcools du Québec (SAQ) ne vend pas ces produits.
«C’est un dossier qui traîne depuis 40 ans», lance Jacques Laroche, directeur général et copropriétaire de la Procure Ecclésiastique. Le 9 avril, la Procure s’est fait saisir tout son stock au Québec, soit une quarantaine de caisses contenant chacune douze bouteilles.
«La SAQ, depuis au moins les années 1980, essaye d’empêcher la distribution du vin de messe au Québec, dit-il. Cela oblige les paroisses et les communautés religieuses à s’approvisionner dans les autres provinces.»
Importation interprovinciale
En effet, les principaux vendeurs de vin de messe au Québec doivent opérer en passant via l’Ontario ou le Nouveau-Brunswick. Le vin californien est importé dans ces provinces, avant de pouvoir ensuite entrer sur le territoire québécois, en vertu de licences spéciales émises dans ces provinces voisines.
Il y a quelques mois, la Liquor Control Board of Ontario (LCBO), l’équivalent ontarien de la SAQ, aurait signalé son intention de modifier ses règles afin de ne plus permettre un tel trafic interprovincial. Nous avons contacté la LCBO pour obtenir plus de précisions, mais cette dernière n’avait pas encore répondu à nos demandes au moment de la publication. Le service des communications d’Alcool NB a confirmé qu’il procédera à quelques vérifications, mais n’était pas encore en mesure de commenter davantage la situation.
«Nos fournisseurs se sont fait dire par la LCBO qu’ils n’ont plus le droit de transiter, alors que la loi le permet», s’insurge M. Laroche. Ce dernier invoque la Loi canadienne sur les boissons enivrantes de 1985, dont l’article 8 prévoit des exceptions pour l’importation de boissons à des fins sacramentelles ou médicales. «Mon entrepôt principal est au Nouveau-Brunswick. Mon vin de messe est importé au Nouveau-Brunswick. On paye les taxes d’accise. On a une licence, on fait ça en toute légalité, en toute transparence», ajoute-t-il.
Pour régulariser la situation au Québec, il faudrait que la SAQ attribue des licences pour importer directement du vin de messe et le revendre, ou qu’elle le vende elle-même. Actuellement, depuis plusieurs années, elle ne fait ni l’un ni l’autre. «Nous avons fait une demande pour obtenir une licence pour le vin de messe en 1997, mais elle nous a été refusée. Alors on s’est reviré de bord», dit le directeur de la Procure Ecclésiastique.
Il juge «incompréhensibles» les saisies du 9 avril et dénonce l’impact négatif qui en résulte sur la liberté de culte. «Cela cherche à empêcher la pratique du culte religieux. Je ne vois pas ce qu’ils cherchent à faire, à part causer du trouble et brimer un droit fondamental. Actuellement, les paroisses au Québec n’ont plus accès au vin de messe pour le culte.»
Pourquoi?
Les policiers poursuivent leur enquête. Selon Sandra Dion du SPVQ, ils doivent notamment déterminer si les produits saisis sont bel et bien du vin. On ignore encore si des amendes ou des accusations suivront.
Une incertitude demeure cependant sur les raisons qui ont poussé les policiers à agir à ce moment-ci. Joints par courriel, des porte-parole de la SAQ et de la Régie des alcools, des courses et des jeux du Québec ont affirmé à Présence qu’elles n’ont pas été impliquées dans les saisies policières.
«Il y a une concertation au niveau des actions, ce qui laisse penser qu’il y aurait une plainte», observe Mgr Pierre Murray, secrétaire général de l’Assemblée des évêques catholiques du Québec (AECQ). Qui a fait la plainte? « Cela ne fait pas partie de mes préoccupations. Ma préoccupation, c’est de travailler à restaurer la chaîne d’approvisionnement.»
Rétablir l’approvisionnement
Ce dossier s’est effectivement retrouvé entre les mains de l’AECQ la semaine dernière. L’Assemblée a aussitôt entrepris des démarches auprès de la SAQ, lui demandant notamment d’émettre des permis ou de fournir le vin de messe. «Vendredi dernier, la SAQ a choisi de devenir le fournisseur de vin de messe», annonce Pierre Murray.
Du côté de la SAQ, on a confirmé être en contact avec l’épiscopat. «Nous avons rassuré les autorités [religieuses] que nous analysons l’offre actuelle afin de déterminer si des produits répondant à leurs critères spécifiques sont actuellement disponibles dans notre réseau», indique Yann Langlais-Plante, porte-parole aux affaires publiques pour la SAQ.
Mgr Murray croit que le dossier pourra se règler dès cette semaine. La SAQ a peut-être même déjà des vins qui pourraient convenir pour le culte, notamment dans ses sélections de vins naturels.
En effet, ce n’est pas n’importe quel vin qui peut convenir à des fins sacramentelles. Selon Rome, le vin doit être naturel, provenir de raisins, être non corrompu et ne pas contenir de substances étrangères. L’AECQ cherche à cet égard à valider s’ils peuvent contenir ou non les fameux sulfites.
«Je ne vois pas de risque de pénurie pour le moment. On peut encourager les paroisses et les communautés à s’entraider. J’ai l’impression que d’ici quelques semaines, la situation sera rétablie et le vin à nouveau accessible», s’avance-t-il.
Il ne croit pas qu’il y ait eu d’action malveillante derrière cette affaire. Il note même une «belle réponse» de la SAQ, qui a réagi rapidement aux préoccupations de l’AECQ.
«C’est un monopole d’État. Il y a eu un changement dans la pratique en Ontario, suivi d’un effet domino, et on est là», dit-il.
Il convient cependant que la situation peut porter un coup dur aux commerces d’objets religieux, les premiers touchés par les saisies du 9 avril. «Ce qui est dommage, dit-il, c’est que les commerces d’objets religieux et d’articles liturgiques – un secteur déjà fragilisé – perdent un bon vendeur.»
À Sherbrooke, la boutique familiale La Mèche verte, spécialisée en fabrication de chandelles, n’a pas eu la visite des policiers. Mais elle a renvoyé tout son stock de vin de messe chez son fournisseur ontarien. La propriétaire, Sylvie Larrivée, confirme que la vente de vin était strictement réservée pour le culte et que tout était fait dans les règles de l’art, les taxes étant payées et les factures émises.
À l’archidiocèse de Québec, on se dit «confiant» qu’une solution sera mise en place à court terme. «De notre côté, me dit le chancelier, l’approvisionnement momentanément interrompu ne semble pas avoir de conséquence pour nos milieux. Nous ne voyons pas de pénurie à l’horizon, il faut dire que le ralentissement du culte diminue les besoins en vin de messe ces temps-ci», note la directrice des communications, Valérie Roberge-Dion.
*Mise à jour 21/04/2021: opter pour une référence au nombre de caisses plutôt qu’au nombre de bouteilles.
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