C’est dans le cadre de la Semaine d’actions contre le racisme que s’est tenu, le 3 avril au Centre St-Pierre, un colloque sur le racisme dans la société québécoise. Organisé par l’organisme Communication, ouverture, rapprochement interculturel (COR), il a attiré une centaine de personnes venues majoritairement de la communauté arabe et musulmane. Il a été amplement question de l’islamophobie au Québec.
Frantz Voltaire, président de la Semaine d’actions contre le racisme et directeur du Centre international de documentation et d’information Haïtienne Caraïbéenne et Afro-Canadienne (CIDIHCA), a lancé les débats en rappelant quelques moments importants dans l’histoire de l’humanité où le racisme et la négation de l’autre se sont particulièrement manifestés.
«Sommes-nous le xénophobe de l’Autre? Pour répondre à cette question, nous devons remonter très loin dans l’histoire. Pensons à la situation des étrangers chez les Grecs. On peut penser également à la reconquête espagnole, la Reconquista, qui s’achève en 1792 durant laquelle on va redéfinir l’identité espagnole jusqu’alors composée par les trois religions monothéistes. Frantz Voltaire a poursuivi ce rappel historique en évoquant la persécution par l’Église catholique des Maures et des Juifs en Espagne.
Le président de la Semaine d’actions contre le racisme a également parlé de la conquête du continent américain, en 1492. Pour lui celle-ci «marque le début d’une période catastrophique. Les 25 millions de Mayas et d’Incas qui y vivaient ont été réduits à 5 millions en 200 ans. Nous pouvons aussi à penser à Haïti qui a vu la disparition complète des Taïnos en moins de 50 ans. Certains historiens croient qu’il s’agit là du premier grand génocide.» Frantz Voltaire, souligne que cette tragédie va être suivie par une autre soit la traite transatlantique des Africains durant 300 ans. Durant son survol historique Frantz Voltaire a également rappelé l’existence des camps de concentration nazis.
Frantz Voltaire s’est aussi interrogé sur le fait que certains peuples libérés de l’esclavage et de l’exploitation en viennent à considérer l’Autre comme un étranger, un danger pour leur culture. «En somme, a-t-il conclu, nous sommes toujours l’étranger de l’Autre.»
La deuxième intervenante de la matinée, Denise Helly, professeure chercheuse à l’Institut national de la recherche scientifique (INRS), a souligné qu’en 2011 le taux de chômage chez les musulmans canadiens atteignait les 17 % alors que la moyenne nationale était de 7,8. Selon la chercheuse, aucun des obstacles naturels à l’obtention d’un travail, soit la langue, la distance géographique, l’absence de débouchés dans certains types d’emploi ou encore le manque d’éducation, ne sont en cause. Pour Denise Helly, nous sommes en présence ici d’une discrimination systémique envers les musulmans.
Elle a souligné que le gouvernement du Québec a énormément de difficulté à respecter la Loi sur l’accès à l’égalité en emploi dans les organismes publics. Cette dernière a été mise en place dans le but de faciliter l’obtention de postes au sein de la fonction publique par les minorités visibles, les femmes, les handicapés et les autochtones. Cette situation, souligne-t-elle, a été dénoncée par la Commission des droits de la personne et de la protection de la jeunesse dans plusieurs rapports sur cette question. La professeure Helly considère cette réalité comme «une des formes que prend le rejet islamophobe au Québec».
Par ailleurs, elle a fustigé certaines élites québécoises qui, lors des débats entourant la Charte des valeurs, ont fait preuve de démagogie populiste. «J’ai réalisé une étude à partir des pages Facebook de personnalités publiques qui étaient en faveur de la Charte des valeurs. J’ai constaté la présence de verbiages haineux et bêtes. Cela aussi est un facteur de rejet.»
Selon la chercheuse, les élites politiques québécoises n’ont «jamais eu de discours publics puissants sur le respect des minorités et, surtout, sur la mise en œuvre de l’égalité. Le discours est plutôt négatif», a-t-elle conclu.
Le troisième intervenant, Jocelyn Maclure, professeur de philosophie à l’Université Laval, a invité les tenants du multiculturalisme à ne pas tomber dans la caricature lorsqu’ils défendent leur position.
«Mon message principal aujourd’hui, c’est que nous, qui partageons une vision d’une société pluraliste et inclusive, nous devons inlassablement entretenir notre capacité à l’autocritique. Nous devons nous imposer les plus hauts standards en matière d’éthique sociale dans nos rapports à autrui, à ceux qui ne pensent pas comme nous. Les intellectuels pluralistes, les organismes comme COR, comme AMAL, comme Québec inclusif, doivent demeurer le plus loin possible de la caricature et du procès d’intention.»
Le philosophe a également souhaité la réhabilitation du langage des vertus civiques dans le débat sur les valeurs.
«J’entends par vertus civiques les aptitudes et les dispositions que devraient manifester les citoyens d’une même communauté pour favoriser le mieux vivre ensemble.»
Jocelyn Maclure a particulièrement mis l’accent sur la vertu qu’il nomme l’endurance civique. «L’endurance civique, c’est la capacité d’encaisser les critiques, c’est la capacité de tolérer les croyances, les points de vue, les modes de vie que l’on juge offensants. Cela vaut autant pour ceux qui ne peuvent pas voir un hidjab sans en être troublés que pour les tenants du multiculturalisme vis-à-vis certaines critiques.»
Le colloque s’est poursuivi en après-midi avec des ateliers portant principalement sur les moyens de défense à la disposition d’une personne discriminée. Des représentants de la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse ainsi que de l’organisme Québec inclusif ont expliqué la manière de procéder afin d’acheminer une plainte. Ce colloque organisé par le COR, s’est conclu par les interventions du directeur du Centre de prévention de la radicalisation menant à la violence, M. Herman Okomba-Deparice et d’une représentante de la GRC qui ont présenté des moyens susceptibles de prévenir les dommages causés par l’exclusion.