L’information semblait si improbable qu’un moment les journalistes de Présence ont sérieusement douté de la véracité du document qu’ils venaient d’obtenir.
En septembre 2019, un évêque latino-américain a déclaré à la Conférence des évêques catholiques du Canada (CECC) qu’il était convaincu qu’un partenaire de longue date de Développement et Paix (DP) dans son pays était en fait une agence gouvernementale, grassement financée par l’État. Pire, a écrit cet évêque, on lui a confié qu’il existerait un «passage interne» entre cet organisme et une clinique de santé reproductive soupçonnée de «fournir des avortements et des moyens de contraception».
Le directeur général adjoint de Développement et Paix, Romain Duguay, a confirmé cette confidence épiscopale, et par le fait même l’authenticité du document obtenu par Présence, lors d’une longue entrevue qu’il a récemment accordée sur la revue des partenaires de l’organisme. Il a déclaré, après avoir discuté de la situation de partenaires du Honduras et d’Haïti, que cette rumeur d’un possible «tunnel, c’est une histoire complètement absurde».
Présence n’a jamais mentionné un quelconque passage souterrain dans ses articles consacrés à l’enquête menée par DP et la CECC sur ces allégations voulant que des partenaires de l’organisme ne respecteraient pas l’enseignement moral et social de l’Église catholique.
L’existence de ce «passage interne» est toutefois relatée dans la section des «faits admis de part et d’autre» pour l’un des 26 organismes qui ont fait l’objet d’une «recommandation de ne pas continuer le partenariat» dans le document intitulé Conclusion du rapport final sur l’examen commun des partenaires au Conseil national de D&P et au Conseil permanent de la CECC. Ce document de 36 pages a été voté en bloc par les évêques canadiens en septembre 2020 et, deux mois plus tard, par les membres du conseil d’administration de DP.
À la page 17 de ce document, on peut lire: «Dans une lettre du 6 septembre 2019, l’ordinaire [NDLR: l’évêque] local du partenaire a indiqué qu’après avoir consulté des « sources fiables », il peut déclarer que le partenaire est une agence du gouvernement fédéral du pays, notant en outre que son bureau est situé à côté d’une clinique de santé reproductive soupçonnée de fournir des avortements et des moyens de contraception, et qu’[traduction] »on pense qu’il existe un passage interne qui relie [le partenaire] et la clinique »».
Les rédacteurs de ce rapport ajoutent qu’«en réponse à la question de savoir si le partenaire doit continuer à être soutenu par Développement et Paix, il déclare [traduction] « clairement non », car bien que le travail du partenaire ait quelques bons aspects, [traduction] « il existe d’autres aspects qui sont douteux à l’extrême, du moins en ce qui concerne une défense claire de la vie » et parce que [traduction] « les soutenir financièrement … est préjudiciable à l’image et à la qualité du service qui doit être fourni par une entité officielle de l’Église »».
L’évêque estime en outre «que le partenaire est [traduction] « suffisamment financé et soutenu par une agence d’État du gouvernement bolivien … l’aide canadienne n’est pas nécessaire »».
Le partenaire a nié, deux mois plus tard, ces rumeurs et a déclaré que «son équipe [traduction] « se sent blessée par les mensonges qui circulent chez Développement et Paix »».
Cette réfutation n’a toutefois pas fait le poids puisque la recommandation votée par les évêques canadiens et les dirigeants bénévoles de DP a été de cesser d’appuyer financièrement ce groupe dont ils ne connaissaient ni le nom ni les sommes versées, au fil des années, par l’organisme de solidarité internationale de l’Église catholique canadienne.
«Compte tenu de l’incertitude quant à la compatibilité des opinions du partenaire sur la vie humaine et la sexualité avec l’enseignement social et éthique catholique, et que la poursuite du partenariat dans ces conditions causerait probablement un scandale et minerait la crédibilité de D&P et des évêques du Canada, et étant donné la réponse claire de l’ordinaire local, la recommandation est de ne pas poursuivre le partenariat», ont-ils voté le 30 novembre 2020.
Dans le document obtenu par Présence, 26 partenaires voient leur partenariat se terminer. Dans un communiqué conjoint de la CECC et de DP publié en février 2021, on indique que DP «s’abstiendra de poursuivre 24 partenariats faute d’éclaircissements sur des préoccupations sérieuses relatives à des prises de position ou à des actions qui contredisent l’enseignement social et moral de l’Église». Romain Duguay, directeur général adjoint de DP, a confirmé que 22 partenaires sont maintenant sur la «liste rouge». Des informations supplémentaires ou des appuis d’évêques locaux ont donc été reçus depuis l’adoption du rapport final de novembre.
«Malgré ce que vous avez écrit, on travaille toujours avec les femmes d’Haïti, le Honduras et le groupe du tunnel», a lancé Romain Duguay.
***