L’Église catholique en Afrique est elle aussi confrontée au scandale des abus sexuels, reconnaissent des dirigeants catholiques. Sa perception et la manière de le traiter diffèrent toutefois de ce qu’on observe en Europe et en Amérique du Nord.
En Afrique, les membres du clergé estiment que la question est trop délicate et sensible pour le public et beaucoup restent muets sur le sujet. Parallèlement, les autorités ecclésiales se disent préoccupées par les abus et suivent de près le scandale, tant dans les Églises locales que dans celles des autres pays.
«L’Afrique est également touchée comme n’importe quel autre continent, mais je ne suis pas sûr de savoir dans quelle mesure», a déclaré à l’agence Catholic News Service sœur Hermenegild Makoro, secrétaire générale de la Southern African Catholic Bishops’ Conference (SACBC).
En octobre, l’Église sud-africaine a renvoyé trois prêtres pour avoir abusé sexuellement d’enfants dans les paroisses. Depuis 2003, 35 cas d’abus impliquant des prêtres ont été rapportés à l’Église d’Afrique du Sud.
Sœur Makoro a indiqué que sur les 35 cas, seuls sept faisaient l’objet d’une enquête par la police, et un a été condamné à une peine d’emprisonnement à perpétuité.
Certaines sources – y compris d’anciens prêtres et séminaristes – affirment que des femmes et des sœurs catholiques pourraient être victimes des abus, mais sœur Makoro a déclaré que le Comité national de conduite professionnelle de la SACBC pas reçu de plainte jusqu’à présent.
Une réalité dans plusieurs pays
Le père Christian Anyanwu, directeur des communications du Secrétariat catholique du Nigéria, a déclaré que les cas de maltraitance d’enfants n’étaient pas aussi fréquents dans le pays par rapport à l’Europe et à l’Amérique.
Cependant, il a noté que l’Église est une unique famille et que ce qui arrive à un endroit est susceptible d’affecter les autres.
«L’Église (nigériane) a mis en place des mesures pour éviter les erreurs commises en Europe et en Amérique en matière de maltraitance d’enfants», a déclaré le père Anyanwu.
Au Kenya, le père Joachim Omolo Ouko, prêtre de la communauté Apôtre de Jésus, dans l’archidiocèse de Kisumu, a convenu que des cas d’abus sexuel s’étaient également produits en Afrique, mais que peu d’entre eux ont été signalés.
«Je pense que la dissimulation est très forte», a déclaré le père Ouko.
Le révérend Peter Njogu, un ancien prêtre catholique qui a quitté l’Église catholique pour fonder sa propre église, a déclaré que davantage de cas avaient été révélés dans le monde développé parce que les gens étaient plus indépendants dans leur foi.
«Je pense qu’il pourrait y avoir plus de cas en Afrique, mais la plupart ne sont pas signalés à cause de la peur. Une famille chrétienne sait peut-être qu’un prêtre abuse d’un enfant, mais ils se taisent parce qu’ils craignent l’institution. Je dirais que c’est une mentalité coloniale; la peur de la religion institutionnalisée. Ce qui manque, c’est une religion concrète et intériorisée», a déclaré le révérend Njogu, qui dirige l’Église catholique universelle renouvelée en tant qu’archevêque. Il a allégué qu’il existait des éléments de preuve indiquant que des prêtres égarés s’étaient impliqués dans de jeunes familles et avaient rompu des mariages.
Il a affirmé que depuis que les prêtres ont commencé à quitter l’Église catholique pour se joindre à des Églises créées par des prêtres rebelles, l’Église du Kenya s’est montrée prudente quant à la discipline des prêtres dévoyés.
Différente perception
Dans le diocèse de Bukoba en Tanzanie, le père Chrisantus Ndaga a déclaré que si les abus sexuels étaient un problème universel dans l’Église, la différence en Afrique était la couverture médiatique et la perception de la société.
«Certains cas peuvent être similaires à ceux d’autres régions du monde, mais ici, c’est perçu comme un problème de société et de famille. Lorsque [un abus] se produit, certaines familles peuvent ne pas vouloir qu’il soit rendu public», a déclaré le père Ndaga.
L’archevêque Baptist John Odama de Gulu, en Ouganda, ancien président de la conférence des évêques ougandais, qualifie ces abus de crime contre les enfants et d’échec de l’humanité.
«Sa faiblesse humaine… un échec de l’humanité à protéger ses propres fruits», a déclaré Mgr Odama. «Nous devons d’abord comprendre, commencer par séparer les secteurs pour voir où cela se produit, puis rechercher des solutions. Si nous ne le comprenons pas, nous serons en échec.»
L’Afrique, avenir du christianisme
Les abus cléricaux inquiètent une Église africaine en pleine croissance, dans un contexte où les analyses montrent que c’est dans la croissance du continent africain que réside l’avenir du catholicisme.
Les statistiques du Vatican indiquent que la population catholique africaine a augmenté de 19,4% entre 2010 et 2015. Au-delà des statistiques, l’Église est également dynamique et joue un rôle clé dans la vie des catholiques.
Récemment, certaines conférences épiscopales africaines ont réagi en publiant des lignes directrices pour aider à faire face aux abus.
Sœur Makoro a déclaré que la SACBC – qui inclut le Botswana, l’Afrique du Sud et le Swaziland – avait introduit des politiques de protection de l’enfant en 2015 afin de renforcer la réaction de l’Église aux abus.
La conférence nigériane a publié en 2017 des «Lignes directrices pour le traitement des affaires de violences sexuelles sur mineurs et adultes vulnérables».
«Elles sont mises en œuvre dans les 56 diocèses de l’Église nigériane. Le document précise ce qui doit être fait en cas de maltraitance d’enfants», a déclaré le père Anyanwu.
Le père Ndaga a indiqué que la protection des enfants était vitale et que chaque institution devrait élaborer des politiques qui protègent les enfants.
«C’est un processus graduel et je pense que c’est en cours», a déclaré l’ancien responsable de l’Association des membres des Conférences épiscopales d’Afrique de l’Est.
Pendant ce temps, alors que les scandales se poursuivent, le pape François a convoqué au Vatican les présidents des conférences épiscopales du monde pour discuter de la manière de protéger les mineurs et les personnes vulnérables dans l’Église. La rencontre doit se tenir au 21 au 24 février.
Le père Ouko a déclaré que de nombreux membres de l’Église espèrent que le pape François puisse donner des directives interdisant aux évêques et aux autres responsables d’Église de chercher à couvrir les cas d’abus.
«Je pense qu’il devrait y avoir une certaine punition pour ceux qui sont impliqués dans la dissimulation», a-t-il déclaré.
Fredrick Nzwili
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