Jean-Denis Lampron suit avec intérêt – et passablement d’inquiétude – l’enquête que mènent les évêques du Canada sur les partenaires de Développement et Paix. L’homme d’affaires et diacre présidait le Conseil national de l’organisme lorsque des évêques ont accusé certains de ses partenaires du Sud de ne pas respecter l’enseignement social et moral de l’Église catholique. La maladie a contraint Jean-Denis Lampron à quitter, il y a quelques mois, le Conseil national de Développement et Paix.
Présence: À la fin du mois de septembre, lors de leur assemblée plénière annuelle, les évêques canadiens devraient rendre publiques les conclusions de leur enquête. Êtes-vous optimiste?
Jean-Denis Lampron: Si une décision négative est prise envers Développement et Paix et ses partenaires, les évêques et l’Église devront vivre avec cela. Présentement, les évêques discutent du sort de ce que l’Église canadienne a créé de plus beau. Vont-ils détruire Développement et Paix? Vont-ils s’engager à poursuivre son travail? Je ne sais pas.
Si leur décision est négative, je me demande comment ils feront pour mettre en pratique cette interrogation biblique: Qu’as-tu fait de ton frère? Et comment on fera pour lire dorénavant Matthieu 25, J’ai eu faim et tu m’as donné à manger.
Je ne le cacherai pas: mes trois années passées à la présidence de Développement et Paix ont été difficiles. Où est la reconnaissance envers les milliers de bénévoles qui se dévouent dans tout le Canada? On joue présentement avec ces gens-là.
Quand on souhaite travailler avec quelqu’un, il me semble qu’on doit lui faire une place et lui dire de temps en temps qu’on apprécie ce qu’il fait. On a affaire à des bénévoles qu’on accuse de tous les maux.
Des fois, j’ai l’impression qu’à la Conférence des évêques catholiques du Canada, on a une oreille plus attentive à ce que publie LifeSiteNews [ndlr: un blogue pro-vie qui critique Développement et Paix depuis plusieurs années] qu’envers ce que l’Église a créé. Je ne comprends pas…
Je ne comprends pas qu’après avoir lu la lettre d’appui du CELAM, les évêques ne reconnaissant pas qu’ils ont commis une erreur. «On a fait une erreur, on s’excuse et on recule». Il semble que le mode «reculons» n’existe pas chez les évêques.
Quand Développement et Paix a été créé, on a confié sa direction à des laïcs. Cette enquête remet-elle en question ce type de gouvernance?
C’est la mission même de Développement et Paix qui est mise en cause. Quand Développement et Paix est venu au monde, dom Helder Camara [ndlr: un évêque brésilien décédé en 1999] disait: Quand je donne à manger à des pauvres, on me traite de saint. Quand je demande pourquoi ils ont faim, on me traite de communiste.
La mission de Développement et Paix est une mission dangereuse. Ce n’est pas une mission reposante qu’on a confiée à des laïcs. Mais c’est la mission de l’Évangile. L’Évangile a toujours été annoncé en contradiction avec le monde.
Présentement, on s’attendrait à ce que les évêques soient de notre côté car nous continuons, aujourd’hui encore, de poser la question des causes de la faim, de l’oppression et de l’injustice. Développement et Paix travaille sur les causes et c’est la raison de mon engagement dans cet organisme.
Même si Développement et Paix était blanchi par les évêques, sa réputation sera-t-elle ternie pour longtemps par ces allégations?
C’est bien plus que la réputation de Développement et Paix. Toute cette histoire aura un impact sur les membres et les donateurs. On sent déjà une démobilisation chez les membres. Et des gens ont cessé de donner. Un tort irréparable a été fait, je le crains.
Quand je pense aux organismes qu’on aidait et qu’on ne peut plus appuyer présentement avec les sommes recueillies lors de la campagne Carême de partage, je me dis qu’on est en train d’asphyxier Développement et Paix.
Je ne prétends pas que Développement et Paix est parfait. Loin de là. Mais il me semble qu’on essaie de tuer une mouche avec une bombe atomique. C’est décourageant, c’est démotivant, c’est même criminel. Le mot est dur, mais on touche ici à l’intégrité des personnes. Ce n’est pas grave car on ne les voit pas, ces personnes. Elles vivent à des milliers de kilomètres de chez nous. Qu’elles obtiennent un million de dollars de moins en aide internationale, ce n’est pas si grave non plus. On va fermer quelques partenaires du Sud, c’est tout…
Mais derrière ces coupures, il y a des humains. Des enfants, des femmes et des hommes. Des gens qui continuent de vivre des injustices. Des gens qui sont maintenus dans la misère. Des groupes qui vivent dans l’incertitude.
Qu’as-tu fait de ton frère? C’est la question à laquelle il faudra répondre. Et franchement, je ne sais pas comment des évêques font, d’une main, pour lire l’Évangile et célébrer, et de l’autre main, ne rien faire et demeurer silencieux.
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