« On a assisté dimanche à la présentation d’un supposé nouveau cours », déplore Line Dubé, la présidente intérimaire de l’Association québécoise en éthique et culture religieuse (AQECR).
Au lendemain de la conférence de presse du ministre de l’Éducation Jean-François Roberge annonçant les grandes lignes du programme Culture et citoyenneté québécoise, l’enseignante se dit peu rassurée sur ce qui remplacera le programme Éthique et culture religieuse (ECR).
Elle n’en revenait pas d’entendre le ministre Roberge énumérer les thèmes qui seront dorénavant étudiés. « La presque totalité des éléments se trouvent déjà dans le cours actuel d’ECR », lance madame Dubé qui œuvre aussi, à l’UQAM, à la formation des futurs enseignants en ECR.
« On attaque et on dénigre un programme sur des constatations et des conclusions qui sont biaisées », estime-t-elle. Elle aurait apprécié que le ministre de l’Éducation présente publiquement les faits ainsi que les « études rigoureuses » qui l’on amené à « condamner un programme » qui arrivait « à maturité ».
Les ajustements qu’on aurait pu lui administrer méritaient-ils qu’on « évacue ou balaie du revers de la main un programme qui, lui, aura été le fruit d’un long processus, rigoureux et méticuleux ? », demande-t-elle. « À l’AQECR, on pense que non. »
Ce que la présidente intérimaire comprend du nouveau programme, c’est que l’ensemble des traditions religieuses et convictionnelles seront maintenant au service d’une compréhension très large lorsque certains enjeux éthiques seraient analysés. C’est bien ce que le ministre Roberge a affirmé dimanche. La culture religieuse ne serait jamais « prépondérante » dans le cours Culture et citoyenneté québécoise. « Mais on n’en sait pas davantage », déplore-t-elle.
Les membres de l’AQECR ont aujourd’hui davantage « l’impression d’être instrumentalisés plutôt que partie prenante de cette révision », indique-t-elle après avoir discuté avec des enseignants. Tous ont noté que le ministre Roberge a choisi d’être accompagné dimanche par des artistes et d’autres ministres. « Il n’y avait aucun enseignant à ses côtés ».
Quant aux futurs enseignants d’ECR, ils sont « en état de choc », reconnaît Line Dubé. « On vient de leur signifier que la majorité des cours qu’ils ont suivis pour se former au programme, ça ne compte plus ».
Le religieux fait partie de notre monde
Les enseignants étaient tous d’accord pour une révision prochaine du programme ECR, confie Léandre Lapointe, le vice-président de la Fédération nationale des enseignantes et des enseignants du Québec (FNEEQ).
« Bien sûr que ça valait la peine d’en faire une révision, une mise à jour. Des aspects devaient être modifiés, certains nuances devaient être apportées, par exemple l’absence de l’athéisme ou des spiritualités des Premières Nations. »
Mais fallait-il sabrer le programme actuel et « réduire à sa plus simple expression tout l’aspect de la culture religieuse ? », demande le syndicaliste.
« Lorsque ce cours est donné par des enseignants bien formés en ECR, on fournit aux jeunes, aux futurs citoyens, une grille de lecture et d’analyse qui leur permet de mieux comprendre la société dans laquelle ils évoluent.»
Tous les jours, ajoute Léandre Lapointe, grâce aux médias, tant les élèves que les enseignants observent des problématiques où la religion est bien présente. « Le religieux fait partie de notre monde », c’est une réalité qu’on ne peut ignorer. « Pour saisir ces enjeux, pour se doter d’un regard critique, il faut avoir une grille de lecture » telle qu’offerte dans l’actuel cours ECR, lance-t-il, convaincu qu’« on doit comprendre les religions si on veut favoriser le vivre-ensemble ».
« Si on ramène la culture religieuse à sa plus simple expression », si elle devient « un repère parmi tant d’autres », on vient de perdre cette clef de compréhension et d’analyse, déplore-t-il.
Le vice-président de la FNEEQ se montre aussi perplexe en constatant que les thématiques introduites dans le nouveau programme sont déjà vues dans les autres cours que suivent les élèves.
« Je pense aux arts, à la compréhension des fondements de la démocratie, à la laïcité», énumère-t-il. Ces aspects sont déjà intégrés dans les cours d’histoire ou d’arts. « Mais où parlera-t-on dorénavant de religion ou de culture religieuse ? ». Le cours ECR, « c’est la seule place où on en parle ». Il craint que dans le nouveau programme annoncé dimanche par le ministre Jean-François Roberge, « il n’en restera pas grand-chose».
Valeurs et laïcité
Pour Léandre Lapointe, la pensée critique, le dialogue et l’éthique sont au cœur de l’actuel cours ECR. « Quand j’entends le ministre Roberge dire que le cours va présenter nos valeurs, je me demande si ce sont les valeurs de la CAQ qui seront mises de l’avant ? Va-t-on permettre aux élèves d’exercer leur pensée critique sur ces valeurs ? »
Dimanche, le ministre Simon Jolin-Barrette a salué l’arrivée du nouveau programme et indiqué qu’il permettra aux futurs élèves « de saisir tout le chemin parcouru pour mener à la laïcité de l’État, soit la séparation entre l’État et les religions ». Le vice-président de la FNEEQ fait remarquer que « la vision de la laïcité » que la CAQ propose est loin de faire l’unanimité. « Il y a d’autres visions. »
C’est donc une erreur de présenter « la laïcité comme un dogme ».
On ne peut dire non plus aux élèves : « Voici ce qu’il faut penser des valeurs québécoises. » Sans quoi, là, « on devient très religieux », dit-il. « C’est notre vérité et vous devez l’enseigner. »
« Un programme scolaire, ce n’est pas cela du tout. Si notre objectif est de faire réfléchir, il va falloir qu’on présente les choses comme étant un processus où le jeune réfléchit par lui-même et choisit d’adhérer à une vision ou à une autre. Je n’ai pas senti cela dans l’exercice de relations publiques que le gouvernement a fait dimanche. On sent vraiment qu’on veut donner une direction », dit Léandre Lapointe.
Autres réactions
Pour la Fédération autonome de l’enseignement (FAE), le ministre Roberge « a mis les professeurs devant le fait accompli ». Même si ce syndicat estime que « c’est une bonne chose de se poser des questions sur le programme d’éducation offert par l’école publique », il déplore qu’aucun véritable bilan du cours ECR n’a été proposé depuis qu’une révision en profondeur a été annoncée par le ministre Roberge le 10 janvier 2020.
En découvrant les nombreuses thématiques qui seront dorénavant enseignées par le cours Culture et citoyenneté québécoise, la FAE craint qu’il « ne devienne un fourre-tout ».
De plus, le syndicat de l’enseignement dit redouter de possibles « dérives politiques ». Un cours sur la citoyenneté québécoise « va s’appuyer sur quelles valeurs ? », demande-t-il. « Celles du gouvernement en place ? »
De leur côté, les évêques catholiques du Québec se montrent « inquiets des conséquences qu’entraînera l’évacuation radicale des notions de culture religieuse du cursus scolaire ».
Ils estiment qu’un accroissement de la méconnaissance du fait religieux sera inévitable. « Cette méconnaissance risque en retour de nourrir les préjugés et d’augmenter la polarisation sociale, plutôt que d’aider les élèves à cheminer vers la reconnaissance de l’autre et la poursuite du bien commun. »
En janvier 2020, l’Assemblée des évêques catholiques du Québec (AECQ) demandait que la révision annoncée du programme ECR « prête une attention particulière aux demandes des enseignantes et enseignants, qui connaissent bien les réalités sur le terrain ».
« Cette recommandation ne semble malheureusement pas avoir été entendue », constatent les évêques catholiques québécois.
« L’expérience religieuse est une dimension centrale de la vie de plusieurs citoyennes et citoyennes », disent-ils, ajoutant qu’il s’agit même « d’une dimension déterminante de l’histoire et de la culture du Québec, non seulement en raison de l’importance historique du catholicisme, mais aussi en raison de la longue coexistence pacifique de plusieurs traditions religieuses sur le territoire ».
« Méconnaître le fait religieux, c’est, par exemple, ignorer le fait qu’il est possible à la fois de croire en Dieu et de pratiquer la pensée critique, comme l’ont fait de nombreuses personnes jusqu’ici. C’est aussi négliger la diversité interne des différentes traditions religieuses et la complexité des parcours de vie des personnes croyantes », déplorent-ils.
En « évacuant la culture religieuse du programme scolaire », le gouvernement québécois ne fera pas « disparaître du jour au lendemain » le fait que « la religion demeure un enjeu de société ». « Face à cet enjeu majeur, il vaudrait mieux affiner nos approches éducatives et nuancer les contenus proposés aux élèves, plutôt que de tenter de les balayer sous le tapis. »