Salué par ses pairs comme un ardent promoteur d’une présence catholique dans les débats publics et dans le monde des communications, Mgr Lucien Labelle, décédé le 31 janvier à l’âge de 99 ans, a marqué des générations de communicateurs chrétiens. Présence a recueilli plusieurs témoignages de communicateurs qui l’ont côtoyé.
Un conseiller
Actuel directeur général de Communications et Société, Martin Bilodeau, joint au Festival international du film de Berlin, se souvient «d’un homme pince-sans-rire, à l’esprit très affûté».
«Chaque vendredi, Mgr Labelle passait devant mon bureau et s’arrêtait pour discuter de ma chronique cinéma dans Le Devoir, un journal qu’il lisait religieusement. À l’époque, j’étais rédacteur en chef de Médiafilm et lui dirigeait encore la Fondation canadienne de la vidéo religieuse, qu’il avait fondée en 1989, et dont les bureaux étaient voisins des nôtres. Il était en quelque sorte le beau-père de la porte d’à-côté, qui veillait toujours avec intérêt sur ce qui se passait.»
Martin Bilodeau se rappelle d’une rencontre avec Mgr Labelle, en 2008, à l’occasion du 40e anniversaire des cotes de Médiafilm. Il lui avait expliqué que les fameuses cotes – de (1) – Chef-d’œuvre à (7) – Minable – avaient été crées «pour remplacer les cotes morales, qui avaient cours jusqu’en 1967, et qui étaient devenues contre-productives parce qu’elles ouvraient l’appétit des spectateurs pour les films à déconseiller et à proscrire».
Martin Bilodeau confie qu’il désirait, à son retour de la Berlinale, aller rencontrer Mgr Labelle en compagnie du producteur et réalisateur Rock Demers qui l’a connu dans les années 1960 et qui souhaitait le revoir.
Fin stratège
«Mgr Labelle était pour moi un ami pour qui j’avais beaucoup d’estime et d’admiration», lance Rolande Parrot, responsable des communication pour l’Assemblée des évêques catholiques du Québec durant onze ans (1998-2009) et rédactrice ou directrice de plusieurs publications durant sa longue carrière.
«J’ai connu Mgr Labelle alors qu’il était un jeune prêtre. Il animait un ciné-club à mon école secondaire, au début des années 1950. Je l’ai retrouvé plus tard, lorsque j’ai été nommée responsable des communications au diocèse de Joliette, en 1968. Depuis, je l’ai suivi durant son long parcours comme directeur de l’Office des communications sociales [ndlr: ancien nom de Communications et Société]». Rolande Parrot a longtemps été membre du conseil d’administration de l’OCS.
«Mgr Labelle était un homme racé et réservé», confie-t-elle. «Aux réunions du conseil d’administration, il parlait peu et observait. Mais c’était un fin stratège. Il était doué d’une extraordinaire aptitude à entretenir des relations solides partout où ses objectifs l’y invitaient.»
Rolande Parrot se souvient que, durant le temps des Fêtes, Mgr Labelle «organisait un 5 à 7 annuel». Il y invitait les patrons des médias montréalais ainsi que les responsables des communications en Église. «C’était toujours une rencontre agréable, très instructive, que je ne voulais jamais manquer», lance-t-elle.
Promotion de la formation
Directeur général de Communications et Société durant dix années, Bertrand Ouellet rappelle qu’au début des années 1980, il avait rédigé un papier sur la télématique. «C’était une bonne dizaine d’années avant Internet.» Il était question du Minitel, un projet qu’on a implanté en Europe. Mgr Labelle avait lu le document et s’était empressé de téléphoner à son auteur. «Il faut qu’on s’occupe de cela en Église, m’a-t-il dit». Peu après, Bertrand Ouellet devenait son adjoint à l’Office des communications sociales.
«Méthodique, rigoureux, c’était aussi un homme ouvert aux gens et aux nouveautés. Il donnait beaucoup d’espace et de liberté à ses collègues. Il ne te disait pas quoi faire», note Bertrand Ouellet, à la retraite depuis 2018. après avoir été secrétaire général de l’Assemblée des évêques catholiques du Québec.
Mgr Labelle a toujours fait la promotion de la formation aux communications. «Et cela, bien avant qu’on ait des départements de communications dans les universités.»
Ce prêtre n’a jamais redouté les avancés des communications. Sa conviction, selon Bertrand Ouellet, aura toujours été que l’Église se devait prendre une part active dans «ce nouveau monde» et qu’il fallait absolument «se former pour y vivre».
Rayonnement international
«Mgr Labelle a eu beaucoup de rayonnement parce qu’il avait un jugement très pondéré des réalités du monde des communications», estime Guy Marchessault, longtemps professeur de communication à l’Université Saint-Paul d’Ottawa. «Il était aussi très préoccupé d’une présence catholique dans les débats publics.»
Il rappelle que Mgr Labelle était présent, lors du concile Vatican II, lorsque le décret Inter Mirifica sur les communications sociales a été approuvé en 1963. «Il a participé à la rédaction de ce document, notamment avec mon oncle, Jean-Marie Poitevin (un missionnaire et l’auteur du premier long métrage québécois, À la croisée des chemins).
Tout comme Bertrand Ouellet, Guy Marchessault souligne combien le fondateur de l’Office des communications sociales était passionné par la question de la formation. «Il faut rappeler que la fonction fondamentale de l’OCS, pendant vingt-cinq ans, c’était d’aider les diocèses à faire de l’éducation et de la formation aux communications. Dans les années 1980, les diocèses ont changé de cap et se sont intéressés davantage aux relations publiques. La formation est tombée et cela a précipité l’OCS dans une crise interne que Mgr Labelle a su gérer», dit-il.
Reconnaissance
Lui aussi un ex-directeur général de Communications et Société, Mgr Pierre Murray raconte qu’il l’a rencontré il y a 18 mois afin de l’informer des changements à venir pour Communications et Société, notamment la perte de son statut et de son financement auprès de la Conférence des évêques catholiques du Canada.
«Il en était très triste. Toujours lucide, très au fait de l’actualité, il m’a semblé qu’il voyait dans cette situation que l’oeuvre de sa vie prenait fin», dit-il.
Mgr Labelle n’a pas laissé sa marque que dans l’Église du Québec et du Canada. «À Bruxelles, dans les locaux de Signis, son portrait est affiché bien à la vue. Des gens d’Asie, du Pacifique, d’Europe et d’Amérique latine parlent de Lucien Labelle avec beaucoup de déférence et de reconnaissance. C’était un grand de l’histoire de l’Église dans le monde des communications», estime Mgr Murray, aujourd’hui secrétaire général de l’Assemblée des évêques catholiques du Québec.
Un fin renard
Quand Lucie Martineau a fait ses débuts, en 1988, au service des communications de l’Assemblée des évêques catholiques du Québec, «Mgr Labelle était la personne à connaître en communications».
«C’est lui qui m’a expliqué l’histoire et le fonctionnement de l’ensemble des communications de l’Église», indique celle qui occupera par la suite le poste de directrice des communications à l’archevêché de Montréal durant vingt-quatre années.
«C’était un fin renard, Mgr Labelle. Il connaissait bien les évêques d’ici mais aussi tous les rouages du Vatican. Ses conseils étaient toujours utiles.»
«Pour moi, Mgr Labelle a été un mentor. J’ai eu la chance de travailler avec lui plusieurs années et je l’ai beaucoup apprécié», ajoute Lucie Martineau.
***