Le document majeur du pape François sur la famille publié au printemps continue de faire réagir, au point où il a semblé nécessaire au théologien espagnol Salvador Pié-Ninot de soutenir que l’exhortation apostolique du pape François sur la famille fait bel et bien partie du «magistère ordinaire» de l’Église.
Professeur d’ecclésiologie et auteur bien connu dans le monde hispanophone, le père Pié-Ninot a publié un texte dans L’Osservatore Romano du 23 août dans lequel il évoque les nombreuses controverses soulevées quant à la validité magistérielle d’Amoris laetitia (La joie de l’amour).
Certains évêques conservateurs — le cardinal américain Raymond Burke en tête — émettent en effet des doutes sur l’orthodoxie doctrinale de ce document.
Le théologien espagnol reconnaît d’emblée que le pape a refusé de faire de La joie de l’amour un enseignement «définitif» sur les questions liées au mariage et à la famille. Or, aux yeux du père Pié-Ninot, l’exhortation apostolique du pape fait néanmoins partie du «magistère ordinaire» de l’Église. Et, en cela, les catholiques doivent se rallier avec «sincérité» à «l’enseignement » du pape et s’efforcer d’y donner suite «de manière de concrète».
Le cardinal Ratzinger à la rescousse
Le père Pié-Ninot appuie son raisonnement sur un texte publié en 1990 par la Congrégation pour la doctrine de la foi: l’Instruction sur la vocation ecclésiale du théologien. Cette instruction était signée du préfet de l’époque, le cardinal Joseph Ratzinger. Dans ce texte, l’actuel pape émérite Benoît XVI laissait entendre que l’enseignement de l’Église peut être hiérarchisé en trois paliers, en fonction du degré d’assentiment que ces textes demandent de la part des théologiens.
Au troisième et dernier palier figure l’enseignement relevant du «magistère ordinaire» de l’Église. Il s’agit ici d’un enseignement au sein duquel le magistère n’a pas «l’intention de poser un acte ‘définitif’» mais qui présente néanmoins une doctrine pouvant contribuer à une «intelligence plus profonde de la Révélation», à en «explicite[r] le contenu», à «rappeler la conformité d’une doctrine avec les vérités de foi», ou encore à «mettre en garde contre des conceptions incompatibles avec ces mêmes vérités». Ce «magistère ordinaire» commande quant à lui «un assentiment religieux de la volonté et de l’intelligence».
Un texte faisant autorité
Aux yeux du père Pié-Ninot, Amoris laetitia appartient à cette troisième et dernière catégorie.
Dans son instruction de 1990, le cardinal Ratzinger présente les critères permettant de classer les prises de position du pape dans le «magistère ordinaire» de l’Église. C’est notamment le cas des «questions [encore] débattues dans lesquelles sont impliqués, à côté de principes fermes, des éléments conjecturaux et contingents».
L’instruction de 1990 reconnaît d’ailleurs que «ce n’est souvent qu’avec le recul du temps qu’il devient possible de faire le partage entre le nécessaire et le contingent». Ce qui ne veut cependant pas dire que le pape n’a pas reçu «l’assistance divine dans l’exercice intégral de sa mission», ajoute le théologien espagnol, en citant ici l’instruction de 1990.
Selon le père Pié-Ninot, La joie de l’amour est un texte magistériel dont l’autorité doctrinale ne fait pas de doute. Y compris les «mots très significatifs» prononcés par le pape en faveur de l’accès à l’eucharistie des divorcés-remariés.
Depuis sa parution, une grande partie des débats sur Amoris laetitia a porté sur sa nature. Concrètement, cette exhortation apostolique faisait directement suite au synode sur la famille de l’automne 2015. Une exhortation, bien que signée par le pape, a surtout comme objectif de produire une réflexion magistérielle à partir du compte-rendu fourni au pape par les évêques qui participaient au synode.