La campagne présidentielle est pour les catholiques de France un exercice d’introspection, alors que le «vote catholique» demeure fragmenté dans une situation où, à deux jours du scrutin, le coude-à-coude dans les sondages rend bien incertaine l’issue de ce premier tour.
La course est serrée entre les principaux candidats: Emmanuel Macron (En marche !, gauche modérée), Marine Le Pen (Front National, extrême-droite), François Fillon (Républicains, droite), et, devançant même le candidat Benoît Hamon (Parti socialiste, gauche), le tribun Jean-Luc Mélenchon (France insoumise, gauche radicale). Le président sortant, le socialiste François Hollande, qui a connu un quinquennat difficile, avait choisi de ne pas briguer un second mandat.
Les deux gagnants du premier tour de dimanche s’affronteront au second tour, le 7 mai, pour déterminer qui sera élu président de la république.
Les catholiques, eux, se meuvent entre les différentes tendances. Bien que le vote catholique ait toujours penché vers la droite, le professeur Bernard Bourdin, spécialiste de philosophie politique à l’Institut catholique de Paris, est catégorique: impossible de parler d’un vote catholique.
«Ce n’est pas français, ce ne le sera jamais», dit-il depuis son bureau parisien. «Le vote catholique a toujours été majoritairement à droite. Plus que jamais d’ailleurs. Surtout centre-droit, même si on sent un glissement vers un vote plus identitaire.»
Coauteur avec Jacques Sapir de l’essai Souveraineté, nation, religion: dilemme ou réconciliation? (Cerf) qui vient tout juste de paraître, il estime la France aux prises avec une «décomposition» du politique liée à une perte de légitimité des élus, perçus avec scepticisme par la population. Dans une culture politique française habituée à une alternance dans l’exercice du pouvoir, celle-ci semble aujourd’hui faire défaut, laissant place à une indifférenciation des propositions. «Il y a une crise de l’orientation politique», dit-il. L’électorat peut donc être tenté de retrouver cette différenciation dans les extrêmes.
Le vote catholique n’échappe pas à ce phénomène, et doit composer avec un malaise autour de la position complexe des catholiques par rapport à des évolutions sociétales, tout en restant attachés à leur tendance. À cet égard, les clivages entourant le Mariage pour tous, puis la Manif pour tous, en 2013, témoignent en partie de ce malaise dont les échos se font sentir au cours de la campagne.
Selon le professeur Bourdin, le vote catholique est bel et bien «éclaté». «C’est un électorat qui compte: il est d’autant plus courtisé qu’on sait qu’il n’est pas homogène», note-t-il.
Réflexions, mais pas de mot d’ordre des évêques
La campagne présidentielle française était récemment au cœur de l’assemblée plénière de la Conférence des évêques de France (CEF), qui se tenait à Lourdes à la toute fin du mois de mars.
Son président, Mgr Georges Pontier, archevêque de Marseille, a ouvert l’exercice par un discours sur la responsabilité des citoyens et des politiciens à l’approche du vote. Prenant acte de la crise de la légitimité du politique dans l’Hexagone, il a rappelé les «exigences de la fraternité». «Nous ne pouvons pas penser notre avenir, chacun replié sur soi-même. Certains le pensent. C’est un leurre», a-t-il déclaré devant ses confrères le 28 mars, faisant référence aux enjeux identitaires et à la peur de l’islam brandis par certains candidats. Il a entre autres choses mis en garde contre l’eugénisme et la banalisation de l’avortement.
«Les progrès scientifiques fournissent des informations qui étaient ignorées auparavant. Cela devrait déboucher sur de meilleures thérapies et non sur une culture qui, voulant l’enfant parfait, recommande d’éliminer l’embryon porteur de handicap», a-t-il précisé.
Mais l’épiscopat français s’est bien gardé d’indiquer pour qui voter, lui qui est également partagé entre les options. Si bien que le grand journal catholique français La Croix titrait le 27 mars que, «comme leurs fidèles, les évêques de France sont ‘un peu perdus’».
Le Conseil permanent de la CEF avait déjà publié un document de réflexion sur la présidentielle en octobre 2016, traitant notamment d’insécurité sociale, de laïcité, de culture, de diversité: thèmes que les évêques ont repris par la suite.
«Leur démarche, c’est retrouver le sens du politique», dit le professeur Bourdin. «Pas simplement une politique gestionnaire, mais une politique qui redonne du sens. La ligne générale de leur pensée, c’est ça.»
Assumer ses positions
Comme bien des Français, la bibliste Anne Soupa n’avait pas besoin de mot d’ordre pour prendre position. Dans une lettre ouverte cosignée avec plusieurs personnes en responsabilité, la cofondatrice du Comité de la jupe et de la Conférence catholique des baptisé-e-s francophones prenait parti pour Emmanuel Macron et rappelait que le vote chrétien n’appartient à personne, «et sûrement pas aux factions identitaires». Face à plusieurs catholiques qui optent davantage pour François Fillon, voire Marine Le Pen, elle redoute un mouvement catholique «défensif de contre-culture».
«Le problème est qu’ils le font au nom de leur catholicisme, dont il faut bien admettre qu’ils ont une compréhension affadie: au lieu d’annoncer la Bonne Nouvelle, et de reconnaître le visage du Christ dans le frère ou la sœur, ils donnent la priorité aux questions identitaires et éthiques. Ce sont elles qui pour eux, tiennent lieu d’engagement chrétien», déplorait-elle dans une entrevue accordée à Présence plus tôt cette semaine.
Sa prise de position n’a pas manqué de faire réagir. «Si le vote catholique n’appartient à personne: il est curieux d’appeler à voter pour Macron dans le même texte non? On peut être catholique et voter Mélenchon», lui faisait remarquer un internaute.
Défi pastoral
Comme bien des prêtres, le père Julien Dupont doit tenir compte de cette fragmentation du vote catholique. Prêtre depuis bientôt sept ans, ce trentenaire est curé de la paroisse Saint-Jacques des Hauts de Poitiers, qui compte 30 000 habitants.
«Mon devoir premier», dit-il, c’est d’aider chaque baptisé «à discerner, à voter, à s’engager politiquement».
«Par ailleurs, je prends garde de ne pas stigmatiser les différents courants représentés dans les communautés auxquelles je suis envoyé, comme la paroisse ou l’aumônerie des étudiants», explique celui qui enseigne également la théologie morale et qui conseille parfois les évêques français en matière de communication.
Il admet une certaine inquiétude devant des votes «extrêmes». «Bien entendu, des chrétiens ont des tendances repérables parfois. Mais appeler au respect de ces différents courants est indispensable pour le bon fonctionnement de nos communautés ecclésiales», croit-il. Aux yeux du père Dupont, en cette période électorale, l’attitude de l’Église doit plus que jamais être d’aider à «discerner pour agir en conscience».