Québec entend mieux encadrer la dispersion des cendres humaines. Après plusieurs années de projets morts au feuilleton, le gouvernement revient à la charge avec un nouveau projet de loi. Présence en a discuté avec le ministre de la Santé et des Services sociaux, Gaétan Barrette.
Voulant répondre aux souhaits exprimés par les différents intervenants du milieu funéraire, le ministre Barrette a présenté le 22 octobre le projet de loi 66 intitulé «Loi sur les activités funéraires» dont l’objectif est de mieux protéger le public dans ce domaine très sensible.
Dans une entrevue accordée à Présence, Gaétan Barrette souligne que le monde des services funéraires est en évolution, tout comme la société, qui n’est plus aussi homogène qu’autrefois.
«Les rites funéraires changent d’une culture à l’autre. De nouvelles techniques ont fait leur apparition. De plus, les services funéraires sont sous l’égide d’une multitude de lois et de règlements. Voilà pourquoi nous considérons qu’il est nécessaire de faire le ménage dans tout cela et d’adapter nos lois et nos règlements à la situation actuelle», indique le ministre.
Cet avis est partagé par Monique Morin, présidente de l’Association des cimetières chrétiens. «Cela fait longtemps que nous attendons des changements importants aux lois et aux règlements encadrant les activités funéraires. Je crois qu’il y a beaucoup de bonnes choses dans ce projet de loi», explique-t-elle en entrevue.
Toutefois, Mme Morin regrette le fait que plusieurs articles des lois qui régissent présentement le monde funéraire aient été «omis ou oubliés».
«Par exemple, rien dans le projet de loi ne spécifie jusqu’à quel moment les corps doivent être gardés en charnier. Actuellement, il y a des règlements qui nous indiquent quelle est la date limite pour garder les corps en charnier. Je parle bien sûr des petits cimetières qui ne possèdent pas de chambres réfrigérées. Le projet de loi 66 ne dit rien non plus sur la profondeur minimale permise pour enterrer les cercueils, même chose au sujet des cryptes dans les églises. À mon avis, ce sont des aspects très importants qui n’ont pas été explorés dans le présent projet de loi.»
Cependant, la présidente de l’Association des cimetières chrétiens considère que l’initiative gouvernementale constitue un pas dans la bonne direction.
Les cendres humaines
Le projet de loi touche au délicat sujet de la dispersion des cendres humaines. Pour le ministre Barrette, il était impératif de le faire.
«Actuellement, on peut faire à peu près ce que l’on veut avec les cendres. On peut les répandre n’importe où. Il n’y a pas de règles. Nous considérons qu’il y a lieu de préciser tout cela», estime le ministre.
De son côté, Mme Morin qui ne mâche pas ses mots pour décrire l’enjeu que représente la dispersion des cendres humaines.
«C’est aberrant ce qui ce passe actuellement! Nous voyons toutes sortes de choses! Nous constatons que des personnes répandent les cendres de leurs proches dans des endroits inimaginables et inappropriés.»
Cette situation a déjà été soulignée par l’Assemblée des évêques catholiques du Québec dans un mémoire présenté devant un comité d’étude sur la question des activités funéraires mis sur pied par le gouvernement en 2010. Dans ce mémoire les évêques écrivaient: «Nous voulons soulever le fait que l’absence de législation relative aux cendres entraîne des situations qui sont pour le moins discutables. En voici quelques exemples: des cendres sont laissées dans une maison lorsqu’elle est vendue; des [personnes] font des travaux sur un terrain et découvrent une urne non identifiée; des gens se présentent dans nos paroisses pour faire inhumer des cendres d’une personne qu’ils ne veulent plus garder dans un pendentif; des personnes souhaitent inhumer les cendres dans deux endroits différents».
Les évêques faisaient remarquer au comité que «si des règles sont faites pour ne pas profaner un cadavre, il nous apparaît tout aussi normal de vouer le même respect aux restes humains lorsqu’ils sont réduits à l’état de cendres». Les auteurs du mémoire relevaient «que peu importe que le corps soit inhumé ou incinéré, l’Église lui voue la même considération. Elle y voit toujours les restes d’une créature de Dieu, qui a été habitée par l’Esprit saint et qui est promise à la résurrection».
Pas de police des cendres
Afin de mieux encadrer le droit des familles de disposer des cendres humaines de leur proche, Québec prévoit certaines dispositions. L’article 71 du projet de loi stipule que «nul ne peut disperser des cendres humaines à un endroit où elles pourraient constituer une nuisance ou d’une manière qui ne respecte pas la dignité de la personne décédée». De plus, l’article 72 mentionne que «la personne qui inhume des cendres humaines ou qui les disperse doit déclarer à l’entreprise de services funéraires ayant pris en charge le cadavre le lieu où ont été inhumées ou dispersées ces cendres, pour inscription au registre des activités funéraires de cette entreprise».
Pour Monique Morin ces articles sont «vagues». Elle fait remarquer que rien dans ces articles n’empêchera une famille ou une personne qui prend en charge les cendres humaines d’un proche de ne pas respecter son engagement. «Après qu’elles auront signé le registre, qui va les suivre pour savoir ce qu’elles feront avec les cendres?», se demande la directrice de l’Association des cimetières chrétiens.
«On ne va quand même pas instaurer une police des cendres! rétorque le ministre Barrette. Je pense que nous pouvons raisonnablement nous fier à la bonne foi des gens.»
«Nous sommes pour une certaine liberté en ce qui a trait au lieu d’épandage des cendres des proches, précise Mme Monique Morin. Cependant, il faut que cet épandage soit réalisé dans le plus grand des respects, car il s’agit de cendres humaines.»
Avant que le projet de loi 66 ne soit adopté, il doit encore passer par plusieurs étapes. «J’espère que l’adoption de la loi se fera bientôt», confie le ministre qui souligne que durant les quinze dernières années d’autres tentatives afin de réunir les lois et les règlements qui régissent le monde funéraire sont mortes au feuilleton.
Pour la présidente de l’Association des cimetières chrétiens, «la société a tout intérêt à avoir une loi qui donne des lignes de conduite garantissant le traitement respectueux de nos défunts».