La nouvelle loi sur la neutralité religieuse adoptée mercredi dernier par l’Assemblée nationale contrevient-elle aux droits de la personne? Peut-être bien, s’il faut en croire divers organismes spécialisés en la matière.
La Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse a fait part de ses «préoccupations» devant l’adoption de la nouvelle loi. Elle croit l’obligation de recevoir des services publics à visage découvert «pourra contribuer à la discrimination systémique visant les femmes appartenant à un groupe minoritaire, déjà largement discriminées».
«En effet, cette loi multiplie les obstacles que ces femmes rencontreront dans leur quotidien. De plus, elle limite la capacité de ces femmes à agir librement et accentue les risques qu’elles soient la cible de propos et gestes discriminatoires», ajoute encore la commission.
Elle se désole par ailleurs que les recommandations qu’elle avait formulées en novembre 2016 sur le projet de loi 62 n’ont pas été suivies. Celles-ci concernaient en partie une discrimination appréhendée en matière de réceptions de services le visage découvert.
La Commission insiste pour dire que la Charte des droits et libertés de la personne au Québec interdit toute discrimination basée sur un motif religieux.
Rappelons que le libellé de la loi 62 ne mentionne pas quels vêtements ou couvre-chefs sont expressément visés par ses dispositions. Mais certains types de voiles associés à des cultures de tradition musulmane, comme le niqab, qui ne laisse entrevoir que les yeux, ou la burqa, qui recouvre complètement le visage, sont de facto concernés par la nouvelle législation.
«Les lois doivent servir à éliminer la discrimination»
De son côté, la présidente de la Commission canadienne des droits de la personne, Marie‑Claude Landry, est d’avis que «les lois doivent servir à éliminer la discrimination et non à la favoriser». À ses yeux, ce sont les dispositions de la loi 62 qui concernent le fait de recevoir des services publics le visage découvert qui peuvent poser problème.
«Je trouve extrêmement préoccupant qu’un gouvernement quel qu’il soit légifère pour cibler et marginaliser un groupe plutôt que pour protéger les personnes qui souffrent déjà en raison de la discrimination», a-t-elle indiqué par voie de communiqué.
Elle précise que la Loi canadienne sur les droits de la personne concerne les champs de compétence fédérale. «Même si le projet de loi 62 s’applique aux services publics du Québec, les autobus du transport en commun qui traversent les frontières provinciales en font un enjeu fédéral», a estimé Mme Landry.
Bien que la Commission canadienne évoque une éventuelle contestation judiciaire de la loi 62, elle n’a pas détaillé de quelle manière elle y participerait.
«Danger potentiel»
L’organisme Amnistie internationale est d’avis que l’objectif de neutralité religieuse étatique visé par le gouvernement «se doit d’être mis en œuvre dans le respect des engagements internationaux du Canada en matière de droits humains, engagements auxquels le Québec est soumis».
L’organisation estime «que la disposition de la loi portant sur l’obligation d’avoir le visage découvert afin de recevoir ou de donner des services publics porte atteinte à la liberté d’expression relative à la liberté de religion et prive toute personne ayant le visage couvert d’avoir accès aux services publics et de participer aux affaires publiques québécoises».
Amnistie croit par ailleurs que les accommodements aussi prévus par la loi 62 «ne répondent pas aux normes internationales», puisqu’il appartient aux personnes d’exprimer le besoin d’un accommodement plutôt qu’au gouvernement de justifier une restriction à la liberté de religion.
«Cette loi représente un danger potentiel. Outre le non-respect de droits humains fondamentaux, la discrimination serait ici consacrée en tant que norme», a opiné la directrice générale d’Amnistie international Canada francophone, Béatrice Vaugrante, au lendemain de l’adoption de la loi par les députés provinciaux.
Le gouvernement du Québec tient son bout devant les nombreuses critiques, le premier ministre Philippe Couillard répétant qu’il s’agit d’une question d’identification, de sécurité et de communication lorsqu’il s’agit d’avoir le visage découvert. La ministre québécoise de la Justice, Stéphanie Vallée, a pour sa part convoqué les médias le 24 octobre pour présenter les règles d’application liées à l’obligation de donner et de recevoir les services publics à visage découvert. Le communiqué de presse annonce les couleurs du gouvernement: «une application claire d’une loi équilibrée».
Le gouvernement fédéral a d’ores et déjà annoncé qu’il entend se pencher attentivement sur la nouvelle loi québécoise. Une possible contestation juridique n’est pas écartée.