Son allocution lors des funérailles au lendemain de la tuerie de la grande mosquée de Québec a été saluée à travers le monde. Hassan Guillet, membre du Conseil des imams du Québec et imam de Saint-Jean-sur-Richelieu, suit attentivement le débat autour de la loi 62 sur la neutralité religieuse de l’État. Il est catégorique: Québec fait fausse route et les répercussions seront dommageables pour tous.
Que pensez-vous de la nouvelle loi?
On crée un problème où il n’y en a pas. Combien de femmes portent le niqab? C’est minime. Quelques dizaines, moins de cinquante. Et combien parmi ces personnes prendront l’autobus ou iront à la bibliothèque?
À mon avis, c’est une question électoraliste. Ce qui m’inquiète, comme Québécois, c’est que cette loi ne va pas tenir la route. Elle sera contestée devant les tribunaux en se basant sur les chartes des droits du Québec et du Canada. Cela va nous coûter, comme citoyens payeurs de taxes, beaucoup d’argent pour un problème qui n’existe pas.
Quel impact aura-t-elle sur la scène politique québécoise?
Cela va transformer, par la force des choses, les prochaines élections en un référendum sur le niqab, tout comme les dernières élections fédérales ont été un référendum sur le niqab où Stephen Harper et Thomas Mulcair ont mordu la poussière à cause de ce débat. Comme la dernière campagne provinciale a été un référendum sur la Charte des valeurs, on aura un référendum sur le niqab.
Ce ne sont pas seulement les droits de quelques dizaines de musulmanes qui portent le niqab qui sont bafoués. C’est le droit de tous les Québécois d’avoir un bon gouvernement qui est en jeu ici. Les Québécois, plutôt que d’élire un gouvernement en analysant les programmes des partis, vont choisir pour ou contre le niqab. Tous les autres problèmes, l’éducation, la santé, l’environnement, le chômage, l’économie, le harcèlement des femmes au travail, les agressions sexuelles, tout cela sera mis sous le tapis et on va discuter du niqab. Avec tout ce qui va s’inviter dans le débat: la xénophobie, l’islamophobie, la haine. On n’a pas besoin de cela. C’est un coup raté qui va nous coûter cher et qui n’ira nulle part.
On a invité nos partenaires canadiens et extérieurs du Québec à s’imiscer dans ce débat et venir faire du Quebec bashing. On n’a pas de leçon à prendre de personne, mais on s’est exposés avec cela. Et je ne sais pas pourquoi.
La loi 62 pourrait-elle avoir l’effet contraire souhaité et nuire à l’intégration de certaines musulmanes au Québec?
Cette loi, c’est celle de la neutralité de l’État. En quoi cela dérange-t-il l’État qu’une femme portant le niqab monte ou descende d’un autobus? Est-ce qu’un médecin va téléphoner à la police si une femme n’enlève pas son foulard
Au contraire, on veut que ces femmes s’intègrent, qu’elles apprennent. Et là, on veut les exclure des écoles, des cliniques médicales, des autobus. Et on va les condamner à rester chez elles parce qu’elles s’obstinent à porter le niqab.
Vous l’avez dit, on parle ici d’une minorité de femmes. Or cette loi suscite-t-elle un débat de nature religieuse ou théologique chez les musulmans québécois?
ll n’y a pas d’unanimité dans l’islam sur le niqab.
Personnellement, je n’ai jamais vu une femme avec un niqab dans ma ville natale. Certaines écoles de pensée, peu nombreuses, disent que le niqab est obligatoire. Ce n’est pas une question de religion. C’est une question de conviction personnelle. La personne qui est convaincue qu’elle doit mettre le niqab parce que si elle ne le porte pas, elle ira en enfer, ce n’est pas à vous ou à moi de le lui enlever. On ne peut pas le retirer de force. On ne peut pas faire cela aux gens quand il s’agit de leurs convictions profondes. On les laisse libres et on les laisse évoluer. Les cinquante femmes qui portent le niqab, si on les laisse libres, peut-être l’enlèveront-elles elles-mêmes. Sinon, ce seront leurs filles. Laissons les gens cheminer.