L’islamophobie, la haine et la discrimination n’ont pas leur place au Canada, a martelé le gouvernement fédéral le jeudi 28 janvier en annonçant son intention de faire du 29 janvier la Journée nationale de commémoration de l’attentat à la mosquée de Québec et d’action contre l’islamophobie. Heureux de cette initiative, des musulmans et citoyens de Québec ont saisi la balle au bond pour interpeller à nouveau le gouvernement Legault sur la question de l’islamophobie.
En procédant à son annonce jeudi, Ottawa a dit souhaiter ainsi agir «en l’honneur des victimes et en solidarité avec les survivants de cette tragédie».
«Cette Journée nationale de commémoration et d’action contre l’islamophobie nous permettra non seulement de ne jamais oublier cet horrible événement, mais également de poursuivre nos actions pour rendre ce pays plus ouvert et inclusif d’un océan à l’autre», a commenté Bardish Chagger, ministre de la Diversité et de l’Inclusion et de la Jeunesse.
Du côté de Québec, le député de Louis-Hébert, Joël Lightbound, a ajouté que cette journée servira de «rappel»: «il faut toujours rester vigilant et combattre l’islamophobie et l’intolérance sous toutes ses formes. Individuellement et collectivement, nous devons toujours faire attention à ce que l’on sème et ce que l’on cultive; et nous devons tendre vers plus de compréhension, de paix et de respect.»
Lors d’un point de presse dans la matinée du 29 janvier, le cofondateur du Centre culturel islamique de Québec (CCIQ), où s’est déroulée la tuerie quatre ans plus tôt, a affirmé que le gouvernement de François Legault fait preuve de «déni» face à l’islamophobie. Boufeldja Benabdallah a indiqué que les musulmans ne sont pas dupes et qu’ils sont bien conscients qu’il y a dans la position du premier ministre un «calcul politique».
«Nous lui tendons la main pour qu’il reconnaisse que le racisme systémique existe», a déclaré M. Benabdallah au cours du point de presse qui se tenait à l’extérieur, à côté du mémorial en l’honneur des victimes inauguré en décembre 2020.
Il a qualifié la création d’une journée nationale d’«étape dans la guérison des gens».
«Nous devons nous prémunir, nous rappeler intelligemment ce drame», a-t-il dit, soulignant au passage que l’événement a aussi servi à montrer un visage d’empathie et de compassion au Québec.
Boufeldja Benabdallah a aussi profité de la tribune qui lui était offerte pour réitérer la demande du CCIQ de faire interdire les armes de poing au pays. «On ne veut plus de ces armes», a-t-il lancé, insistant sur le fait qu’elles se cachent facilement et que les dix balles qu’elles contiennent peuvent faire beaucoup de dégâts. Il s’est aussi permis de commenter la Loi 21 sur la laïcité de l’État, qu’il juge «discriminatoire» puisqu’elle procède à une «une catégorisation pour enlever des droits à des personnes». «Nous demandons au gouvernement de réfléchir. De rééquilibrer ses lois», a-t-il ajouté.
Prenant la parole au nom du Collectif citoyen «29 janvier, je me souviens», Sébastien Bouchard a estimé que les enjeux de racisme et d’islamophobie sont toujours d’actualité. Le racisme systémique et l’islamophobie doivent être «nommés et reconnus», a-t-il plaidé, laissant entendre qu’il souhaitait que le gouvernement québécois en fasse plus sur ces enjeux.
Mohamed Khabar, qui a été blessé au pied et au genou lors de l’attentat de 2017, s’est adressé aux médias pour rappeler que les musulmans ne sont pas des citoyens de seconde zone. Il s’est dit heureux devant l’instauration d’une journée nationale, même si elle arrive «un peu tard». Il aimerait lui aussi que le gouvernement québécois montre la même sollicitude dans ce dossier. Questionné sur la notion de pardon, il a répondu franchement qu’il est encore blessé et qu’il n’y pense pas encore.
Pandémie oblige, la commémoration citoyenne est virtuelle cette année. Après des rassemblements extérieurs en 2017 et 2018, un rassemblement intérieur à l’Université Laval en 2019 et un souper communautaire à l’église Saint-Mathieu en 2020, c’est une diffusion Web qui est préconisée en 2021.
Une première pour la Table interreligieuse
Créée en contexte de pandémie pour parler d’une même voix au gouvernement, la Table interreligieuse de concertation a réagi publiquement pour la première fois à un enjeu qui n’est pas lié à l’ouverture des lieux de culte. Dans un communiqué publié le 29 janvier, l’organe qui regroupe des chrétiens, des juifs et des musulmans a dit vouloir «honorer le souvenir des victimes de l’attentat de la grande mosquée en réitérant notre engagement à contribuer au vivre ensemble de notre société».
«Nous appelons tous nos compatriotes Québécoises et Québécois à combattre les préjugés et la discrimination et à promouvoir l’ouverture à l’autre, la solidarité et la paix», écrit-elle.
Sans employer le terme «islamophobie», elle s’inquiète d’une augmentation de crimes haineux visant des minorités religieuses, particulièrement les juifs et les musulmans.
«En tant que personnes représentant une diversité de groupes religieux présents au Québec, nous croyons que lorsque l’une de nos communautés de foi est attaquée, nous sommes toutes et tous attaqués, et que toute notre société s’en trouve diminuée», déclare la Table.
Ibrahima Barry, Mamadou Tanou Barry, Khaled Belkacemi, Abdelkrim Hassane, Azzeddine Soufiane et Aboubaker Thabti ont été tués le 29 janvier 2017 à l’intérieur du Centre culturel islamique de Québec. L’attentat a aussi fait 19 blessés graves et 17 orphelins.
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