Ce jeudi 22 décembre, François Saillant en était à sa dernière journée de travail. La retraite vient de sonner pour le coordonnateur et le porte-parole du Front d’action populaire en réaménagement urbain, connu sous l’acronyme de FRAPRU. Le militant dirige cet organisme communautaire depuis mars 1979.
Trente-huit années durant lesquelles il fut de toutes les tribunes – et dans tous les médias – dès qu’il était question des conditions de logement des citoyens, et tout particulièrement des individus et des familles à faibles revenus.
C’est lors d’une conférence de presse tenue à Montréal que la voix du FRAPRU et des mal-logés a annoncé son départ à la retraite. Il a aussi présenté son bilan de quatre décennies de revendications en faveur du logement social et remercié les communautés religieuses qui ont toujours appuyé le FRAPRU et les organismes communautaires québécois.
Quatre décennies
«En 1979, nos grandes préoccupations étaient le maintien de la population résidante dans les quartiers populaires et la préservation du parc de logements existants», explique-t-il.
Les programmes de rénovation urbaine mis en place durant ces années ont favorisé la construction d’autoroutes, d’édifices à bureaux et de grands hôtels. Mais ils ont aussi entraîné, rappelle François Saillant «la démolition de dizaines de milliers de logements ouvriers à Montréal, à Québec et à Hull». Quant aux programmes gouvernementaux de rénovation domiciliaires, s’il devaient améliorer la qualité des logements, ils ont aussi «créé des hausses de loyer extrêmement importantes pour les locataires à faibles revenus».
Trente-huit ans plus tard, «ces enjeux sont encore d’actualité», dit-il, mais leurs conséquences sont différentes. «Le danger aujourd’hui se nomme la gentrification des quartiers populaires», note-t-il. On transforme des logements locatifs en condominiums, on offre la location temporaire d’appartements à des fins touristiques via des plateformes comme Airbnb. Les logements à prix abordables sont, en 2016, toujours plus difficiles à trouver.
En rappelant ces faits, François Saillant hausse le ton. Cette pénurie de logements, dit-il, est la conséquence directe d’une décision politique prise il y a un quart de siècle.
«L’épisode le plus sombre de la lutte pour le logement social, c’est assurément le retrait du gouvernement fédéral du financement de nouveaux logements sociaux. Cela s’est d’abord fait, de 1990 à 1992, par des coupures dans les programmes et les budgets réservés au logement social. Puis lors du budget fédéral de 1993, on a annoncé la fin définitive du financement de nouveaux logements sociaux à partir du 1er janvier 1994.»
Véritable catastrophe sociale, «ce retrait a coûté au Québec pas moins de 69 000 logements sociaux», lance-t-il. «Le gouvernement fédéral a aujourd’hui une énorme dette envers les mal-logés et les sans abris d’ici.»
Des victoires
Les défenseurs du logement social ont toutefois fait des gains durant ces quatre décennies. Dès l’annonce du retrait du gouvernement fédéral, le FRAPRU et des comités de défense des locataires ont exigé que le gouvernement du Québec se préoccupe davantage des conditions d’habitation des plus pauvres de ses citoyens.
«Concrètement, on a obtenu la mise sur pied, dès 1997, du programme Accès-Logis», dit François Saillant. «Grâce à ce programme, ce sont 29 000 logements sociaux qui ont été réalisés au Québec et 12 000 sont planifiés dans les prochaines année.»
Mais à quelques heures de sa retraite de la coordination du FRAPRU, il estime que les plus grandes victoires ne se mesurent pas en chiffres, mais en dignité.
«Chaque fois qu’il se réalise un logement, chaque fois qu’un ménage mal-logé ou sans abri entre dans un logement social, cela améliore les conditions de vie de ces personnes, mais aussi de toutes les personnes qui vont accéder à ces ressources dans l’avenir», dit-il.
Merci aux communautés religieuses
La conférence de presse de François Saillant s’est tenue dans une petite salle de réunion située au cœur d’un ancien couvent de religieuses, à deux pas d’une chapelle devenue une cafétéria. C’est dans cet immeuble d’un quartier ouvrier montréalais que le FRAPRU et bon nombre d’organismes ont dorénavant leurs bureaux.
Cette vaste résidence, située au coin des rues Fullum et Sainte-Catherine, a déjà été la seconde maison mère des Sœurs de la Providence. Bâti à la fin du XIXe siècle, le couvent a abrité l’administration générale de la communauté, son postulat, son noviciat et même son infirmerie. Vendu il y a quelques année, l’édifice est devenu une résidence pour personnes âgées et accueille aux étages inférieurs des organismes d’économie sociale et des groupes communautaires.
Le coordonnateur du FRAPRU n’hésite pas à reconnaître combien son organisme et les groupes régionaux préoccupés par la question du logement ont pu compter sur l’appui financier des communautés religieuses «alors qu’ils n’avaient pas de financement gouvernemental adéquat».
«C’est grâce aux communautés qu’on a pu poursuivre notre travail. Le FRAPRU a obtenu 50 000 $ ou 60 000 $ certaines années en dons de communautés religieuses. Cela a été extrêmement précieux. Ce soutien-là se poursuit et va aujourd’hui aux groupe plus mal pris que nous.»
Les communautés religieuses, regroupées par la Conférence religieuse canadienne, ont institué en 1979 un Comité de priorité dans les dons afin de répondre aux multiples demandes d’aide financière reçues de groupes locaux et régionaux. La CRC ne dévoile toutefois pas les montants totaux versés par les communautés aux organismes «qui agissent sur les causes de la pauvreté et qui participent à des projets de transformation sociale».
Mais en 2014, lors de son 60e anniversaire, elle indiquait qu’une année, «plus de 300 demandes ont reçu l’approbation du Comité de priorité dans les dons et ont ainsi été recommandées aux communautés. En 1979, les communautés religieuses du Québec ont octroyé 2 358 000 $.» Quinze ans plus tard, 276 groupes ont présenté des demandes auxquelles «les communautés ont répondu en versant une somme de 1 618 000 $», ajoutait l’organisme dans une brochure qui rappelait les grands moments de son histoire.
À l’heure où plusieurs congrégations s’interrogent sur le sort de leurs résidences devenues trop grandes, François Saillant n’hésite pas à donner l’exemple des Sœurs de la Providence et de leur couvent de la rue Fullum.
«On a ici un belle illustration de ce que les communautés religieuses peuvent aujourd’hui réaliser. Les religieuses ont vendu l’immeuble mais ont posé comme condition que ça serve à des fins sans but lucratif», dit-il.
Un choix courageux, estime le coordonnateur du FRAPRU. Il est conscient que, cédé à des promoteurs privés, l’endroit serait aussitôt devenu inaccessible aux habitants du quartier. Habitat Fullum – c’est le nouveau nom de l’ancien couvent – loge «des retraités à faible revenus qui n’auraient pas les moyens de se loger dans des résidences privées», se réjouit-il.
«Les œuvres que les communautés religieuses engagées socialement ont contribué à bâtir, c’est essentiel qu’elles ne disparaissent pas», dit François Saillant. C’est un des vœux que le porte-parole, depuis 38 ans, des mal logés émet au moment de prendre sa retraite.