À Québec, le Centre de formation chrétienne Agapê fête cette année son 30e anniversaire. Né en 1988 pour offrir une expérience de vie communautaire pour des jeunes laïcs étudiants en théologie, le centre a continué de se diversifier au fil des années pour répondre à une clientèle variée. Grâce à des formations créditées par la Faculté de théologie et de sciences religieuses de l’Université Laval, des parcours sur mesure et des stages variés, le centre est devenu un lieu de passage unique qui assume pleinement un petit côté hétéroclite. Ce qui fait dire à son directeur et fondateur, Denis Petitclerc, qu’il n’a jamais été aussi pertinent qu’aujourd’hui. Entrevue.
Présence: Quand vous avez commencé l’expérience en 1988, pensiez-vous que vous seriez encore là en 2018?
Denis Petitclerc: Quand j’ai débuté c’était un projet temporaire. Je ne voyais pas m’engager à long terme. J’avais 32 ans et l’objectif était de répondre à un besoin des étudiants en théologie : les séminaristes avaient le Grand Séminaire, d’autres étudiants faisaient des démarches avec des communautés religieuses. Les laïcs étaient un peu laissés pour compte. Certains se sont mis à partager leur désir d’avoir un lieu qui les aiderait à intégrer ce qu’ils apprennent au niveau du vécu, de la vie de prière et de l’implication.
À l’époque, il n’y avait presque pas de cours de stage. Certains disaient «je vais aller travailler en pastorale. Mais je passe ça comment, ce que j’ai appris?» Ceux qui étaient en catéchèse avaient un peu plus d’éléments pratiques. Mais en théologie, on considérait que les dimensions spirituelles et la pratique étaient couvertes par les communautés religieuses ou le Grand Séminaire. C’est comme ça que le Centre Agapê est né. Il n’était pas imaginé comme ça au début. Nous avons même développé des lieux de mission au Mexique. L’un de ces lieux est devenu tellement grand que nous avons dû en confier la gestion à une communauté religieuse.
En 30 ans, nous avons accueilli 350 jeunes au total. Les plus grands groupes comptaient de 12 à 14 participants par année universitaire. Cette année, nous avons commencé à six, mais sommes maintenant cinq. Une année, nous n’avions que trois jeunes. On s’est vraiment posé la question: répond-on à un besoin? Là je considère qu’on répond toujours à un besoin.
Quel est ce besoin?
C’est le besoin pour des jeunes adultes qui sont ouverts à une dimension de foi d’avoir un lieu pour pouvoir intégrer cela. Il s’agit d’abord de vivre avec d’autres jeunes et d’inscrire l’aspect «foi» dans la dimension humaine, dans leur réalité humaine, à travers la vie communautaire.
Il y a quelques jours, je dînais avec un prêtre. Il me disait qu’il est convaincu que sans Agapê, il ne serait pas prêtre aujourd’hui. Plusieurs me disent que c’est l’année phare, l’année de référence dans leur enracinement. Des anciens d’Agapê, il y en a partout: à La Pocatière, la responsable de la pastorale d’ensemble est une ancienne d’Agapê. À Gaspé, le nouveau responsable de la pastorale d’ensemble est un ancien d’Agapê. À Rimouski, le responsable de la formation pour le diocèse est un ancien d’Agapê. Il y en a partout! Et ce sont des gens qui se réfèrent encore à Agapê, qui en parlent comme d’un moment marquant.
Au fil des années, on a souvent vu des jeunes maganés par la vie débarquer chez Agapê…
On en a. Je peux dire ceci: on rencontre plus de jeunes blessés qu’avant. J’ai l’impression que ce n’est pas qu’à Agapê. De façon générale, on a une jeunesse qui a appris à vivre avec ses blessures. Ici, la vie communautaire et l’accompagnement créent un espace qui permet de regarder et de les travailler.
C’est sûr qu’il y a des jeunes qui nous arrivent plus poqués. Parfois, pour certains, on se demande si on doit les accepter. Et on se dit qu’on peut faire un bout de chemin avec eux. Tant mieux si ça les aide. D’autres, tu passes l’entrevue, tout semble être numéro 1, et au bout d’un mois et demi il ressort quelque chose et tu découvres dans son histoire, qu’il a été abandonné dans sa jeunesse. Et tout à coup, en redécouvrant l’amour du Père, ça vient brasser des choses en lui. Et ça nécessite un accompagnement particulier.
Mais le fait de passer par Agapê, ça leur permet de travailler ça. Ça aurait pété un jour, mais dans un contexte où il n’aurait pas été entouré pour lui permettre de trouver un chemin. C’est gérable ici. Si on voit qu’il y a un besoin plus grand, on a des collaborateurs, des amis. Il peut rencontrer un psychologue.
C’est clair que la foi doit s’enraciner dans l’humain: il ne faut pas flotter. Ici, le fait d’avoir la vie communautaire dans un contexte où les études, la réflexion, la vie de prière, ça confronte l’humain. Le premier mois, ça peut bien aller. Mais l’expérience est suffisamment longue pour que les habitudes fassent surface et qu’il y ait là des éléments de travail sur soi et avec les autres. Cet aspect-là est riche et répond toujours à un besoin.
Après 30 ans, à quels défis doit faire face le centre?
Ce qui est très difficile, c’est qu’après 30 ans, on est très peu connus, même à Québec, et même chez les prêtres!
Récemment encore, un évêque m’a contacté pour envoyer un jeune à Agapê, pour lui donner des bases. Il pense que ce jeune a peut-être une vocation. On lui dit que nous sommes prêts à l’accueillir. L’évêque m’a dit: « va-t-il pouvoir suivre des cours en théologie?» Bon sang! Toute la formation est créditée!
Une autre difficulté – et c’est l’une des tristesses de notre Église – c’est qu’il n’y a plus de réseau. Notamment de réseau jeunesse. Il y a de petites choses un peu partout, mais pas inter-reliées. Tu communiques avec quelqu’un dans un diocèse pour envoyer la publicité aux groupes jeunesse, c’est comme si ça n’existait pas. Alors que dans nos premières années, tu communiquais avec des responsables nationaux, ils te partageaient ça! Alors on se demande comment on va faire pour joindre les jeunes.
Pourtant, le réseau d’Agapê, lui, semble bien nanti.
Nous avons 14 collaborateurs et animateurs impliqués. Mais il y a tout un réseau autour. Ça peut faire curieux: pourquoi autant de ressources autour d’un projet comme celui-là? Pour deux raisons: d’abord parce que c’est un projet attrayant. Les gens aiment ça! Ils aiment l’esprit de famille, la dynamique. Et on ne se voit pas comme une école avec des étudiants. On se voit comme une expérience communautaire de laquelle nous faisons partie.
L’autre élément pourquoi il y a tant de monde, c’est qu’aujourd’hui dans notre Église, il faut se mettre à plusieurs et accepter de renverser la dynamique qu’on avait avant, où un petit groupe rassemblait plein de monde. Aujourd’hui, on est une Église et on prend soin des gens qui sont là. Ils n’ont pas de prix, ils valent la peine. Et ça permet aux jeunes de côtoyer les diverses vocations. Ça nous évite aussi comme équipe plus proche des jeunes d’imposer une manière de voir.
Que réserve l’avenir pour Agapê?
L’an dernier, à ce stade-ci, on n’avait aucun participant. Mais là, on en a quatre prévus pour l’an prochain. Ça va durer tant que ça va durer. Je m’attends à ce que ce soit encore pour un certain nombre d’années. Est-ce qu’on aura à se transformer? Probablement. Des choses bougeront peut-être.
Au niveau de l’équipe, on collabore pour la formation avec le Grand Séminaire, avec la formation au diaconat et la formation des agents de pastorale. Donc les membres de l’équipe sont impliqués pour différents services. Deux membres de notre personnel font partie de la table de concertation diocésaine sur la formation initiale. La retraite des agents de pastorale va se donner ici au début du mois de juin. Ça donne une chance de durer. Nous ne sommes pas que dans une seule ligne: notre objectif est de rendre service aux gens en Église.