En apparence, tout était au beau fixe pour la traditionnelle fête de sainte Anne, dont l’ouverture avait lieu le 25 juillet à 16 h à la basilique de Sainte-Anne-de-Beaupré. Mais le doyen des sanctuaires québécois vit des mutations qui posent des défis inédits pour les animateurs du lieu.
D’un pas lent, quelques minutes avant la célébration d’ouverture qui marque la fin des neuf jours de prière qui précèdent la fête, une colonne de laïcs et de clercs est sortie du monastère des rédemptoristes avant de bifurquer devant la chapelle commémorative construite à partir des pierres de l’église du XVII siècle, de longer le côté sud de la basilique et de s’engouffrer dans la nef, où une foule d’environ 650 personnes attendait que débute l’une des plus anciennes célébrations religieuses au Québec.
Il y a encore quelques années, il était parfois difficile de circuler sur le terrain du sanctuaire les 25 et 26 juillet tellement la foule était dense. Ce n’est plus le cas aujourd’hui, alors que la fréquentation du site a diminué de moitié en l’espace d’une génération. La basilique de Sainte-Anne-de-Beaupré continue tout de même d’accueillir plus de 800 000 personnes par année.
Les gardiens du sanctuaire – les rédemptoristes, présents depuis 1878 – ne s’en cachent pas : leurs forces vives diminuent, ce qui les oblige à revoir leurs priorités.
Cet été est donc marqué par la fermeture du Musée de sainte Anne, la fermeture du Domaine sainte Anne (le terrain de camping des rédemptoristes le long du fleuve) et par la fin du service de cafétéria à l’Auberge de la basilique.
«On a décidé de se concentrer sur les choses qui sont notre raison première d’être ici», explique le supérieur de la province rédemptoriste de Sainte-Anne-de-Beaupré, le père Charles Duval. «On n’est pas des aubergistes ! Mais on avait l’Auberge parce qu’on avait le nombre. Cette année, le pas qu’on a pris, c’est de dire que ce n’est plus nous qui la gérons. Une autre compagnie. Pour simplifier les choses, on a décidé qu’il n’y aurait pas de repas. Ça ne veut pas dire qu’elle fermera, mais on se donne une année pour voir ce qui est possible.»
Il précise que sa communauté réfléchit actuellement à la meilleure manière de poursuivre sa présence au célèbre lieu de pèlerinage. «Les rédemptoristes aussi se préparent à prendre des décisions. Qu’est-ce qu’on fait ici? Comment continuer et travailler avec d’autres? Parce qu’on n’est pas assez…»
«On est en train de vivre un paquet de passages dans l’Église, et ici au sanctuaire», rappelle-t-il.
Deux moments de passage
La célébration qu’il présidait en ce 25 juillet en était justement une illustration. On a profité de ce moment pour souligner l’apport de deux groupes, le Ahearn Memorial Pilgrimage et les Aides de sainte Anne, tous deux arrivés à des moments clés de leur existence et qui ont marqué l’histoire du sanctuaire chacun à leur manière.
Le Ahearn Memorial Pilgrimage est le plus ancien pèlerinage américain au Canada. Né de la promesse d’un homme du Massachussetts, Andrew Ahearn, guéri d’une infirmité lors d’un pèlerinage à Sainte-Anne-de-Beaupré en 1922, il amenait chaque année d’autres malades et infirmes. Il y a quelques mois, les organisateurs ont annoncé que ce 95e pèlerinage annuel sera leur dernier. Les modifications à la gestion de l’Auberge font d’ailleurs partie des raisons qui ont motivé leur décision.
Quant aux Aides, le groupe de bénévoles identifiable à ses chemises brunes chargé d’aider à assurer la sécurité, le bien-être des pèlerins et le bon déroulement des célébrations, il fête cette année son 70e anniversaire. Un moment heureux, mais la relève s’avère difficile à trouver.
Des représentants de ces groupes ont déposé des gerbes de fleurs aux pieds de la statue de sainte Anne dans le cadre de la cérémonie d’ouverture de la fête.
«Ces moments de passage touchent les Aides, le groupe Ahearn, mais d’autres groupes aussi. Certains cessent de venir, car l’organisateur est décédé ou malade. Quelques organisateurs ont réussi à former une relève plus jeune, mais la plupart ont eu du mal à le faire», convient le père Duval.
Joie et simplicité
Mais le sanctuaire prend note de ces changements et cherche à s’adapter. En 2017, pour la première fois, la neuvaine en français était animée conjointement par un prêtre et un laïc: le père Duval et Réjean Bernier. Ce dernier connait bien le sanctuaire pour y avoir travaillé de 1988 à 2003.
Malgré un horaire très chargé, M. Bernier a accepté l’offre car il s’est senti interpellé par le thème retenu cette année: «Que ma Joie soit en vous».
«C’est audacieux. Dans notre monde, plein de choses vont mal », dit M. Bernier. «Ça me branche le thème de la joie. On perd nos presbytères, nos terrains de jeu catholiques, nos Facultés [de théologie], nos infirmeries, nos monastères, à peu près tout ! Plusieurs prêtres sont essoufflés. Et on court après la joie. Je crois que si on essaye comme catholiques de copier des travailleurs sociaux, des organisateurs communautaires, des psychologues, ce n’est pas là notre marque de commerce. Notre marque de commerce est un peu folle : aimer jusqu’au bout.»
Le père Duval et lui ont opté pour une formule simple, où les prédications s’appuyaient sur des anecdotes. Pas question, affirme M. Bernier sourire en coin, de commencer à expliquer la Trinité et la transsubstantiation tous les jours de la neuvaine…
«Dans notre Église, alors que tout tombe, qu’est-ce qu’on peut garder? A-t-on une joie, résultante de ce qui se passe «en-dedans»? Est-ce que ça peut régner? Quand on est comme ça, on est savoureux, on a un trésor», ajoute-t-il.
Au-delà du caractère majestueux de la basilique et du faste de certaines célébrations, le lieu veut plus que jamais miser sur la simplicité.
«Les gens se demandent c’est quoi qu’il y a ici. On sent qu’il y a une présence, grâce à l’intercession de sainte Anne qui demande au Seigneur de garder sa présence ici. C’est un lieu béni. C’est un lieu d’accueil. Les sanctuaires, dans notre Église en crise, sont vraiment comme des phares. Les gens viennent ici alors qu’ils ne vont plus à leur église», observe le père Duval, qui note que la manière de participer aux neuvaines a aussi bien changé au cours des dernières années.
«Les gens ne font plus toute une neuvaine sur place. Ils viennent un soir, puis regardent une célébration à la télévision locale, ou sur Internet. Plusieurs viennent pour la fête. Ce n’est pas mauvais comme changement, c’est une autre façon de la vivre. Et nous, comme animateurs du sanctuaire, nous devons apprendre à nous adapter à ça.»