Ces jours-ci, Émile Duhamel revoit, classe et élague des centaines de dossiers et de documents. Pour une dernière fois. En poste au diocèse de Valleyfield depuis 1981, l’heure de la retraite a sonné pour le doyen de la pastorale sociale au Québec.
Émile Duhamel quittera fin juin ses fonctions – et son grand bureau à quatre fenêtres, occupé auparavant par un des trois évêques avec qui il a travaillé – avec le sentiment du devoir accompli. Durant 35 années, il aura veillé à ce que le diocèse de Valleyfield soit présent au cœur de toutes les problématiques sociales.
«J’ai compromis l’Église dans la société. Et des fois, bien malgré elle», dit-il dans son bureau situé au premier étage de l’évêché de Valleyfield.
Sur un mur de son bureau, entre deux fenêtres, Émile Duhamel a épinglé quelques dizaines de macarons qui rappellent les conflits ouvriers et les causes sociales auxquels il a participé à titre de responsable de la pastorale sociale. On distingue, dans le lot, un carré rouge, symbole des grèves étudiantes de 2012 contre la hausse des droits de scolarité, et cette médaille pontificale Bene Merenti, remise récemment par l’évêque actuel du diocèse, Mgr Noël Simard, pour ses longs états de service.
Option pour les pauvres
«La pastorale sociale, c’est l’actualisation de l’option pour les pauvres. C’est la présence de l’Église dans les milieux sociaux, auprès de gens qu’on considère comme des laissés-pour-compte dans notre société», explique Émile Duhamel qui émaille toujours ses propos d’exemples tirés de ses divers engagements.
Il rappelle, par exemple, que le premier dossier que l’on confiera au nouveau responsable de la pastorale sociale, alors âgé de 30 ans, sera celui de l’itinérance, un phénomène que l’on associe à tort aux seules grandes villes. «À Valleyfield, il n’y avait rien pour cette clientèle, il y a 35 ans», dit-il. Ce dossier le préoccupe encore aujourd’hui.
«On a commencé avec une maison à six lits», afin de d’offrir un gîte et des repas à des personnes en situation d’itinérance.
«Actuellement, la Maison d’hébergement Dépannage de Valleyfield possède quatre immeubles, dont une maison de transition, une autre qui peut accommoder deux familles sans domicile fixe et une résidence de 13 logements pour des personnes à risque d’itinérance», lance-t-il, à la fois avec fierté mais aussi avec une certaine tristesse en pensant que cette année seulement 400 personnes ont séjourné dans ces maisons pour des temps plus ou moins longs. «On a eu 8000 jours d’occupation», résume-t-il.
«Mais ce n’est quand même pas normal que dans un pays où l’on jette en abondance, des gens soient mal nourris et mal logés», déplore Émile Duhamel.
Il ajoute que «la pauvreté des personnes est le résultat de politiques. Des politiques qui n’entendent pas répartir la richesse, mais qui sont d’abord pensées pour faire rouler l’économie. Nos gouvernements devraient être là pour répartir la richesse.»
«L’Église doit dire que cela n’a pas de sens, c’est un incontournable», estime le futur retraité. «Si elle ne le dit pas, qui le fera? Cela fait partie de son option pour les pauvres. Elle doit être prophétique, au plan local et aussi au niveau international.»
«Si l’Église n’est pas au cœur de ces dossiers, elle perd sa crédibilité et sa pertinence», affirme-t-il. À ceux et celles qui lui objectent que l’Église doit se préoccuper de tous, peu importe leur condition, il répond que «quand on commence par les pauvres, on n’oublie personne. Quand on commence par l’autre bout, c’est rare qu’on veuille descendre en bas de l’échelle sociale.»
Assemblée nationale
Les engagements d’Émile Duhamel sont reconnus dans tout le diocèse de Valleyfield. Récemment, Guy Leclair, député de Beauharnois, lui a rendu hommage à l’Assemblée nationale. Il a salué un «personnage incontournable du milieu communautaire», dont les réalisations «ont changé la vie de ceux et celles qui ont eu la chance de le trouver sur leur route».
Émile Duhamel, a-t-il ajouté, est «une force tranquille qui nous a montré de quelle façon un seul homme peut contribuer à changer le monde qui l’entoure pour le rendre plus beau et plus juste. Il nous a enseigné ce que ce que veut dire réellement aider son prochain.
La suite
«On va me remplacer. C’est une très bonne nouvelle», se réjouit Émile Duhamel. «Une marque qui dit qu’il faut que la pastorale sociale se poursuive dans notre diocèse», ajoute-t-il. Son successeur, Michel Pilon, et lui se rencontrent ces jours-ci pour discuter des dossiers toujours actifs.
S’il se félicite tant de son remplacement, c’est que la pastorale sociale, dans l’ensemble des diocèses québécois, se fait de plus en plus discrète.
Quatorze diocèses sur vingt participent régulièrement aux activités organisées par la Table de la pastorale sociale, indique Louise Cormier, responsable de ce regroupement auprès de l’Assemblée des évêques catholiques du Québec. Mais rares sont les responsables qui ne s’occupent aujourd’hui que de ce secteur. Et encore plus rares sont ceux qui, comme Émile Duhamel, occupent ce poste à temps plein.
Mais lui, que fera-t-il lorsqu’il fermera la porte de son bureau pour la dernière fois? Il entend poursuivre quelques engagements sociaux, dit celui qui est toujours président du conseil d’administration de la Maison d’hébergement Dépannage de Valleyfield.
«On ne fait pas 35 ans au niveau social sans que cela marque. Mais ce qui m’a permis de durer, c’est le bricolage», avoue-t-il, concédant que son «premier projet de retraite sera de rénover chacune des pièces d’une des résidences de notre maison d’hébergement».
Et il souhaite aussi participer à l’accueil de réfugiés dans sa région.
«Je n’ai pas peur de m’ennuyer. Je suis certain qu’on va me confier quelques dossiers», lance Émile Duhamel, jetant un œil aux documents qu’il classe avant que ne débute sa retraite.