Quand une région peine à maintenir sa vitalité économique, ce sont souvent les familles qui en font les frais, constate l’évêque de Bathurst, Mgr Daniel Jodoin.
Lorsqu’il a été nommé dans ce diocèse francophone du nord-est du Nouveau-Brunswick en 2013, Mgr Jodoin était prêtre dans l’archidiocèse de Sherbrooke. Il a découvert une région et des gens chaleureux, mais il a rapidement réalisé que les difficultés économiques locales mettaient en danger l’unité des familles.
«Le drame actuellement au Nouveau-Brunswick, c’est qu’il n’y a plus d’emploi», laisse-t-il tomber lors d’une entrevue accordée à Présence en marge de la Rencontre mondiale des familles de Philadelphie qui prenait fin dimanche.
En effet, des centaines de postes d’ouvriers ont été abolis à Bathurst au fil des années. Entre 1981 et 2011, la population de la ville est passée de 16 000 à 12 000 habitants. Un autre centre urbain du diocèse, la municipalité de Dalhousie, a elle aussi traversé une crise industrielle dans la deuxième moitié des années 2000. Les pertes d’emplois poussaient les gens vers l’exode là aussi.
«Les mines et le moulin [ndlr : pâtes et papiers] sont fermés, la pêche ne va pas bien, le tourisme est éphémère», liste Mgr Jodoin pour décrire les difficultés relatives au monde du travail.
«La vie de famille est brisée parce qu’il y a du chômage. Et quand les emplois sont saisonniers, il y a de l’insécurité», ajoute-t-il.
Exode des travailleurs
Plusieurs travailleurs néo-brunswickois doivent alors s’exiler pour trouver un boulot, ce qui crée selon l’évêque un véritable problème de «père absent» qui se ressent sur la vie des familles. Ils sont en effet nombreux à partir travailler aussi loin qu’à Fort McMurray dans l’exploitation des sables bitumineux d’Alberta, à plus de 4700 km de chez eux, soit l’équivalent d’un voyage de 50 heures en voiture. D’autres tentent leur chance ailleurs dans les Maritimes ou au Québec.
«Le père n’est pas là pendant un bout de temps. Ce ne sont pas les femmes qui partent : ce sont les hommes. La femme reste au Nouveau-Brunswick, avec les enfants. Elle travaille localement, à l’usine de traitement de poisson, à l’hôpital, dans l’industrie touristique…», explique Mgr Jodoin.
Après une période d’éloignement difficile pour les ménages, les familles cherchent à se regrouper. C’est alors toute la famille qui quitte pour suivre le père en Alberta ou ailleurs. Et éventuellement, mêmes des grands-parents suivent, car ils veulent voir grandir leurs petits-enfants.
«[Cet exode] a un impact sur les paroisses, les villages, sur tout! La crise n’est pas nouvelle, mais elle s’aggrave. Les moyens de transport, les opportunités sont là, donc tu te déplaces. Mais quand tu te déplaces, à un moment donné, ça brise la vie de famille. C’est un drame», observe l’évêque de Bathurst.
Selon lui, drame est encore plus prégnant en raison de la notion très large de la famille en Acadie, où les relations au sein de la famille élargie demeurent importantes. Périodiquement, les familles acadiennes qui partagent un même patronyme organisent de vastes rassemblements familiaux, notamment dans le cadre du Congrès mondial acadien qui a lieu tous les cinq ans depuis 1994. Par exemple, tous les Babineau ou tous les LeBlanc peuvent se rencontrer à l’occasion d’un même événement familial.
Mgr Jodoin salue la résilience des Acadiens, un peuple plongé dans un contexte de minorité linguistique qui a toujours eu à se «battre» pour garder son identité. «Je compte sur les Acadiens pour se retrousser les manches», dit-il au sujet des perspectives d’avenir pour les familles baignées dans les incertitudes économiques. «Mais ce n’est pas facile.»