«L’Évangile, c’est pour les pauvres. Ce n’est pas pour les riches.» Christiane Sibillotte lance d’un seul trait cette affirmation quand on lui demande pourquoi, dans les années 1970, elle a choisi d’aller travailler dans un des quartiers les plus pauvres de Montréal.
Cette conviction a toujours été au coeur de chez cette femme qui a participé à de nombreuses manifestations, signé des tas de pétitions, fait de l’action politique et mené plusieurs batailles pour divers groupes au fil des ans.
De nombreuses années, devrait-on dire, puisque Christiane Sibillotte, une religieuse membre de la congrégation des Auxiliatrices, a fêté son 100e anniversaire il y a quelques jours.
«100 ans. C’est difficile à croire», dit Christiane Sibillotte. «Je suis privilégiée. J’ai une assez bonne santé. Et puis, j’ai l’aide de mes sœurs», dit-elle dans le logement qu’elles partagent dans cette résidence montréalaise pour personnes aînées autonomes.
«Par Gisèle et Marie-Paule, je me sens toujours proche des réseaux de solidarité. Si je peux être utile pour transmettre du courrier par Internet, je le fais volontiers», dit celle qui lit chaque jour Le Devoir et que l’on trouve bien souvent devant un ordinateur jusqu’à tard le soir.
La guerre
Née à Paris le 18 avril 1916, Christiane Sibillotte veut devenir médecin. «Mais un oncle médecin disait que ce n’était pas la place des femmes. J’ai alors opté pour la pharmacie. Quand j’ai connu les Auxiliatrices, je n’avais pas complété mes études.»
Son père refuse qu’elle entre en communauté avant d’avoir terminé son cours. «Il a eu bien raison», dit-elle. À 22 ans, elle est diplômée de l’Université de Paris.
C’est en 1939 que la jeune pharmacienne entre au noviciat des Soeurs Auxiliatrices à Versailles, en France. Le 8 septembre 1941, il y a près de 75 ans, elle prononce ses premiers vœux à Blanchelande, en Normandie, la congrégation ayant décidé d’évacuer son noviciat en raison de la guerre.
«Il y avait des bombardements à Paris. On ne pouvait pas sortir. Celles d’entre nous qui étaient originaires de l’Angleterre ou du Canada étaient plus menacées que d’autres. On craignait qu’elles soient prises en otages», se souvient-elle. «On était très prudentes quand on allait soigner des malades à domicile. Il fallait éviter de se faire remarquer.»
Le Québec
La guerre terminée, Christiane Sibillotte fait part de son désir d’être missionnaire en Chine. Mais en 1949, c’est au Québec qu’on l’envoie, avec quelques compagnes, dans le but d’y implanter une maison des Sœurs Auxiliatrices.
Les religieuses s’installeront d’abord à Granby où un bienfaiteur avait remis à l’évêque de Saint-Hyacinthe, Mgr Arthur Douville, un terrain pour qu’il soit mis à la disposition d’une communauté religieuse.
«On a vite découvert que le terrain était isolé, moitié bois, moitié champ, et qu’il était situé dans la partie haute de la ville, alors que les gens qui avaient besoin d’aide étaient dans le bas de la ville.»
Leur couvent est trop loin? Qu’à cela ne tienne, les religieuses utiliseront les transports en commun pour rejoindre la population. «Il y avait des autobus, qui nous étaient offerts gratuitement, mais ils faisaient plein de détours dans la ville», raconte celle qui sera infirmière soignante à domicile pour des familles démunies et responsable de la formation des monitrices de colonies de vacances et de terrains de jeux dans le diocèse de Saint-Hyacinthe.
«On a alors eu cette idée. Si on y allait à bicyclette, cela irait mieux pour notre travail. Il nous a fallu demander la permission à l’évêque. Les gens s’amusaient beaucoup de nous voir ainsi, avec nos grandes robes», raconte tout sourire la religieuse auxiliatrice.
Pharmacienne en quartier populaire
Après un mandat comme provinciale des Sœurs Auxiliatrices du Québec, Christiane Sibillotte apprend que la Clinique communautaire de Pointe-Saint-Charles souhaite offrir des services pharmaceutiques. «Je ne voulais pas être responsable, mais je voulais bien aider», fait-elle savoir.
De 1973 à 1995, elle travaille donc à la Pharmacie populaire de Pointe-Saint-Charles. La pharmacienne participe notamment à la rédaction de brochures d’information qui traitent de problèmes courants de santé, de l’abus de médicaments et du lobby pharmaceutique.
Dans les années 1980, elle participe aux côtés du syndicaliste Marcel Pepin à l’aventure du Mouvement socialiste du Québec. Elle sera membre de l’exécutif de ce parti socialiste et indépendantiste. «Les gens des milieux populaires étaient abandonnés par les partis politiques», dit-elle.
En 1995, Christiane Sibillotte devient porte-parole du Regroupement des religieux et des religieuses pour le OUI lors du second référendum sur la souveraineté du Québec. Et elle participe à la fameuse Marche du pain et des roses. «C’était une marche pour les droits des femmes. Dans le travail qu’on faisait, on voyait bien que les femmes étaient abandonnées, mal servies. On vivait sous le règne des hommes», dit celle qui, à 79 ans, marche vingt kilomètres par jour, durant dix jours, et obtient le titre de doyenne des marcheuses. Elle porte encore fièrement une épinglette qui rappelle cet engagement.
«La situation des femmes est meilleure. Mais il reste beaucoup à faire. J’ai eu l’occasion de faire bien d’autres marches depuis», dit la religieuse.
Le pape François
Christiane Sibillotte paraît étonnée quand on lui dit que depuis sa naissance, l’Église a connu neuf papes, de Benoît XV à François. «Neuf? Mon Dieu, je n’avais jamais compté cela. Mais de tous ces papes, disons que je me sens plus proche de François. Je n’ai pas été en désaccord avec les décisions qu’il a prises jusqu’à maintenant.»
Que souhaite-t-elle pour l’Église? «Je souhaite qu’elle aille dans le sens de la justice sociale», dit la religieuse. «Que ce ne soit pas du haut vers le bas mais que l’Évangile prenne le dessus.»
«L’Évangile, c’est pour les pauvres», affirme la centenaire.