La présence d’un arbre de Noël sur la place de la Nativité, à Bethléem et la multiplication des cérémonies, des parades et des défilés dans la ville natale de Jésus ne bernent personne : cette année, l’esprit de Noël brille par son absence et les Bethléeméens n’ont pas le cœur à la fête. Depuis octobre, le conflit qui embase la région a coûté la vie à une centaine de Palestiniens et à une vingtaine d’Israéliens.
Ces tensions et violences ont eu l’effet d’une chape de plomb sur la ville où, selon la tradition, serait né Jésus. Très peu de pèlerins visitent les Lieux saints du christianisme. Il en résulte donc une baisse d’achalandage dans les boutiques de souvenirs qui jouxtent la Place de la Crèche, à Bethléem. Les marchands ambulants qui ont fait le trajet depuis Hébron pour y écouler leurs chapeaux et autres babioles de Noël ont triste mine. Les touristes et pèlerins n’étant pas au rendez-vous, les commerçants tentent désespérément de vendre leur marchandise aux simples passants, sans grand succès d’ailleurs.
Pour un colporteur comme Jasan Zided, c’est la catastrophe: le coût du trajet en taxi vers Bethléem dépasse largement les recettes de ses ventes quotidiennes. Tant et si bien qu’il ne sait pas comment il arrivera à nourrir convenablement ses six enfants.
Signes des temps, même les traditionnels chanteurs de cantiques manquent à l’appel, cette année. Leur absence rend encore plus morose l’ambiance générale de la ville.
De rares pèlerins, malgré tout
Le propriétaire d’une boutique de souvenirs de Bethléem déplore l’absence de pèlerins et de touristes russes. Ceux-ci, dit-il, sont d’excellents clients et dépensent beaucoup. Or, eux aussi manquent à l’appel, cette année, en raison peut-être de l’engagement militaire de la Russie dans le conflit syrien et aussi de l’attentat perpétré contre un avion russe en Égypte, au mois de novembre. Des pèlerins originaires du Nigeria et de l’Asie du Sud ont cependant pris le relais des Russes.
Les chrétiens européens ne sont pas totalement absents. Ainsi en est-il de Monica Reina, une Madrilène de 47 ans qui participe à un voyage de groupe avec d’autres pèlerins. «Nous effectuons un pèlerinage en Terre sainte. Nous ne sommes nullement effrayés car Dieu nous protège», soutient-elle. «Il y a hélas très peu de pèlerins dans la région. Si les chrétiens cessent de venir ici, en Terre sainte, qu’adviendra-t-il? Y aura-t-il encore longtemps une telle chose que la ‘Terre sainte’?», déplore-t-elle.
«C’est vraiment triste», ajoute Veronica Alhihi. Cette enseignante catholique travaille à l’Ephpheta Paul VI de Bethléem, un institut pontifical destiné aux enfants sourds et muets. Ce jour-là, Veronica et ses élèves effectuaient une sortie scolaire vers la place de la Nativité afin d’y contempler l’arbre de Noël. «Il est difficile d’être heureux lorsque la mort est omniprésente. Bien sûr, comme les chrétiens de partout sur Terre, nous sommes emplis de joie en célébrant la naissance de Jésus. Cela dit, il subsiste malgré tout une grande tristesse en nous.»
La question palestinienne
La multiplication des colonies juives et des points de contrôle israéliens en Cisjordanie suscite la colère des Palestiniens. L’État hébreu affirme que ces mesures de sécurité et ces accrocs à la liberté de mouvement sont nécessaires. Ces mesures de sécurité font en effet suite à certains événements violents ayant embrasé la région. Des juifs extrémistes ont récemment tenté de «s’emparer» de l’Esplanade des mosquées / Mont du Temple de Jérusalem pour y prier. Or, ce site est un Lieu saint pour les juifs et pour les musulmans. Des émeutes ont ensuite éclaté en Cisjordanie. Des civils, des policiers et des soldats israéliens ont également été poignardés par des Palestiniens, de part et d’autre de la Barrière de séparation israélo-palestinienne.
L’appel à la paix
Désirant se montrer solidaire de ses concitoyens, Vera Baboun, la mairesse de Bethléem, a pris la décision de célébrer la fête de la Nativité en toute sobriété. L’illumination de l’arbre de Noël est habituellement accompagnée d’un spectacle pyrotechnique haut en couleur. Or, cette année, les feux d’artifices vont céder la place au tintement des cloches des églises de la ville.
«Bethléem est une ville de paix. Mais elle est désormais séquestrée, emmurée», dit Vera Baboun. «Nous faisons face à une situation contradictoire. Plus les années avancent, et plus la situation s’aggrave. Nous allumons l’arbre de Noël mais personne n’a le cœur à la fête. La tristesse devrait portant être absente d’une ville comme la nôtre. Nous avons parfaitement le droit de célébrer et rendre grâce au Seigneur. Nos enfants méritent de connaître quelques moments de joie, malgré la morosité ambiante.»
Des hôtels désertés
À Bethléem, le taux de chômage est de l’ordre de 27%. Qui plus est, 22% des Bethléeméens vivent sous le seuil de la pauvreté. À elle seule, la Ville de Bethléem n’est pas en mesure de soulager l’indigence de ses citoyens les plus défavorisés. Diverses organisations chrétiennes répondent à l’appel et tâchent de soulager la misère.
L’industrie touristique est le principal moteur économique de Bethléem. Or, au cours des derniers mois, les touristes ont déserté la région. Les taux d’occupation des hôtels sont extrêmement faibles. Pis encore, aucune reprise ne semble se profiler à l’horizon, déplore Manhal Assaf, directeur de l’Office de tourisme de la Palestine à Bethléem.
Les hôteliers pouvaient habituellement se rabattre sur les soirées dansantes et les célébrations festives auxquelles les jeunes chrétiens arabes de Bethléem participaient massivement. Or, cette année, peu d’évènements de grande envergure auront lieu dans les places publiques de la ville. De petites soirées auront toutefois lieu, mais à même les résidences privées des Bethléeméens.
«L’an dernier», note Manhal Assaf, «les hôtels affichaient tous complet les 24 et 25 décembre».
La crise de l’industrie hôtelière se répercute aussi sur les restaurateurs et les petits cafés, comme celui d’Adnan Tarrabin. Le restaurateur se souvient avoir déjà servi entre 200 et 300 clients par jours dans son établissement. Cette année, la clientèle se fait très rare: certaines matinées, il ne sert du café qu’à une quinzaine de clients et passe le plus clair de son temps sur la terrasse son commerce, à contempler le soleil hivernal.
«Même l’an dernier —malgré la guerre à Gaza — fut meilleur que celui-ci», affirme Adnan Tarrabin. «C’est toute la ville de Bethléem qui tourne au ralenti. Il y a des conflits partout au Proche Orient et aussi en Syrie. Cela fait peur aux touristes, même si c’est très sécuritaire, ici. Les Israéliens sont nos cousins, nous sommes tous des êtres humains et nous souhaitons tous vivre en paix. La spirale de la violence est néfaste pour l’ensemble de la population. Pour les jeunes, les vieux, tout le monde. Les deux camps doivent s’asseoir à la même table et négocier un traité de paix. Une économie forte est bénéfique pour tous; elle fait disparaitre bien des problèmes», ajoute Tarrabin.
Les artisans écopent aussi
Les ateliers d’artisanat de Bethléem sont pour la plupart de petites entreprises familiales. Leur subsistance dépend en bonne partie de l’afflux de touristes pendant la période des Fêtes. Or, cette année, l’industrie touristique tourne au ralenti. Ces ateliers d’artisanat sont généralement la propriété de familles chrétiennes. Ces artisans sculptent dans du bois d’olivier des croix de Jérusalem et des petites figurines. Ils vendent ensuite leurs sculptures aux marchands de souvenirs de Bethléem. Mais ces jours-ci, les marchands ne parviennent pas à écouler leur stock d’objets artisanaux. Les artisans rentrent donc chez eux bredouille, les bras chargés de sculptures invendues.
«Je ne sais pas comment nous arriveront à célébrer Noël, cette année», se demande l’un de ces artisans.
Judith Sudilovsky, Catholic News Service
Trad. et adapt. Présence/Frédéric Barriault